"Nous voulons tous les deux aller au-delà de nos limites" : l'interview croisée de Gergely Madaras et Noémi Győri

Noémi et Gergely

Ils forment un couple glamour à la ville comme à la scène. L'OPRL les a rencontrés pour évoquer leurs 23 ans de complicité et leur travail autour de la nouvelle création de Christian Mason à la Salle Philharmonique de Liège, le 27 avril prochain

 

Noémi, qu’est-ce qui vous séduit chez Gergely comme artiste ?

Gergely est quelqu’un de très inspirant par sa capacité à exceller dans tous les types de musiques. Il se dévoue totalement à chaque projet qu’il entreprend, avec un très grand sérieux, une vision réfléchie, sans jamais exclure une forme d’humour dans le travail. J’aime aussi chez lui sa très grande flexibilité, la souplesse de son approche, qui n’est jamais dogmatique.

Gergely, qu’est-ce qui vous séduit chez Noémi comme artiste ?

De mon côté, je dirais que Noémi est très inspirante en raison de l’énergie incroyable et constamment renouvelée qu’elle met dans chaque projet. Elle a, de plus, une créativité sans pareille et une capacité à rendre n’importe quelle idée excitante et remplie de vie. Elle sait comment convaincre tout un chacun. En sa présence, on sent un flot d’enthousiasme très agréable et motivant. Enfin, lorsqu’elle a un projet, elle le creuse et le défend jusqu’au bout, elle ne laisse jamais rien à l’état d’esquisse parce qu’elle a la force et l’envie de tout concrétiser. 

Cela fait 23 ans que vous faites de la musique ensemble. Après autant d’années, comment se marque votre complicité artistique ? 

G. : Cela semblera étrange, mais nous avons toujours déployé beaucoup d’efforts pour faire en sorte de bien travailler ensemble, on pourrait même dire que cette méthodologie nous a beaucoup occupés et qu’elle a pris du temps. Ce qui est clair, c’est que nous avons chacun souhaité placer la barre très haut. Cette approche est payante aujourd’hui car nous avons une totale confiance dans nos capacités respectives. Quand j’ai besoin d’un conseil, je sais que je peux compter sur l’énergie et les idées de Noémi pour résoudre des interrogations musicales, notre complicité est totale. Bien sûr, il peut y avoir des doutes, mais nous savons ce dont nous sommes capables respectivement. 

N. : Lorsque je travaille avec Gergely, mes attentes personnelles sont à leur paroxysme. Je suis plus critique avec moi-même. Mais l’inverse est vrai aussi. Nous voulons tous les deux aller au-delà de nos limites. Cela ouvre la voie à une immense créativité. Néanmoins, il y a toujours une part d’inconnu, de surprises, de découvertes dans notre travail. Et j’en suis heureuse, sans quoi la collaboration serait monotone et sans intérêt, ce qui nous obligerait à arrêter.

Comment a évolué votre collaboration avec le temps ?

N. : Les dix premières années, quand nous étions très jeunes, nous avions davantage de projets en commun. Nous voulons tous les deux aller au-delà de nos limites. Nous avons beaucoup moins joué à deux par la suite, pour plusieurs raisons. Lorsque la carrière de chef d’orchestre de Gergely a démarré, j’étais sûre qu’il irait loin en raison de son immense talent. Il me paraissait dès lors difficile que nous puissions continuer à former un binôme en continu, je ne voulais surtout pas apparaître comme « la femme du chef » qui acceptait des projets plus directement liés à lui, alors que j’avais mes propres envies et que j’avais besoin de mon propre espace artistique. Lorsque j’ai terminé ma thèse de doctorat, j’ai travaillé avec de grands interprètes qui m’ont permis d’arriver là où je suis et d’être qui je suis. Aujourd’hui, cette situation permet, lorsque je retrouve Gergely sur une scène, de ne partager avec lui que des projets passionnants et exaltants, tel le concerto de Christian Mason qui sera créé à Liège. 

Pourquoi avoir commandé un concerto à Christian Mason en particulier ? 

G. :  Je connais Christian Mason depuis 2011, année où Pierre Boulez nous a réunis au Festival de Lucerne dans le cadre d’un atelier associant un compositeur et un chef d’orchestre. C’était ma première collaboration avec lui ; j’ai immédiatement aimé son univers et j’admire tout ce qu’il écrit, notamment ses œuvres pour l’Orchestre Philharmonique de Vienne. Depuis, nous sommes devenus amis. Nos familles sont proches, nous nous voyons souvent et nos enfants ont à peu près le même âge.

N. : Christian me paraissait la personne idéale pour réaliser un projet qui mûrit en moi depuis des années : créer un pendant musical féminin au Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, en mettant en avant le ressenti d’une nymphe. Il connaît très bien toutes les subtilités d’écriture pour la flûte, je savais qu’il serait très attentif à toutes mes attentes et que sa musique serait une réponse pertinente à celle de Debussy.

Noémi, qu’est-ce que cela vous fait de venir jouer à Liège ?

C’est un véritable honneur pour moi. J’ai entendu les musiciens de l’Orchestre à plusieurs reprises et je trouve très excitant de pouvoir être sur scène à leurs côtés. Je suis aussi très heureuse que Liège mette ainsi la flûte à l’honneur durant tout un concert, d’autant plus que l’OPRL dispose de merveilleuses flûtistes. Et je me réjouis évidemment de travailler avec Gergely, dans cette ville qu’il aime tant, et dans la série « Chez Gergely » qui lui est dédiée. 

Qu’est-ce que vous aimez le plus à Liège ? 

G. : Beaucoup de choses. J’adore me promener au bord de la Meuse et contempler les lumières de la ville et toutes ses belles couleurs, même si le soleil n’est pas toujours de la partie. Les gens ici sont très gentils mais aussi ouverts, sensibles et intéressés à la culture de l’autre. J’aime aussi l’éclectisme de l’architecture qui associe des styles et des influences diverses, tout en formant quelque chose de cohérent et spécifique au lieu. Je suis attaché aussi à la mixité des gens, aux différentes traditions culinaires. C’est un peu comme dans notre Orchestre, qui est composé de musiciens aux racines multiples et authentiques.

N. : Je connais moins bien Liège que Gergely, bien qu’il m’en parle très souvent, mais ce qui est clair c’est que, lorsque je suis ici, c’est un peu comme ma seconde maison. Je ressens une connexion très forte avec les gens, un peu comme celle que je ressens dans certaines grandes villes. C’est sans doute lié au fait que Liège est un carrefour de cultures. 

Propos recueillis par Stéphane Dado


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