Chez Gergely : Prélude à l’après-midi d’une nymphe

gergely et noémi

Le 27 avril, Gergely Madaras et la flûtiste Noémi Győri proposent une rencontre passionnante entre la Grèce antique de Debussy et la nymphe Thaleia, héroïne du nouveau concerto pour flûte du compositeur britannique Christian Mason. 

 

Le 27 avril, à 16 heures, la série « Chez Gergely » propose à la Salle Philharmonique un programme assez exceptionnel : Gergely Madaras, le Directeur musical de l’OPRL, partagera la vedette avec la flûtiste Noémi Győri, avec qui il forme, depuis 23 ans, un couple très glamour, à la ville comme à la scène. Leur programme fera dialoguer le nouveau concerto pour flûte du compositeur britannique Christian Mason, Thaleia — une co-commande de l’OPRL et de la Fondation Philip Loubser — avec l’univers mythologique de Claude Debussy. Outre le célèbre Prélude à l’après-midi d’un faune, l’OPRL interprètera, avec la complicité du Chœur Symphonique de Namur, les trois Nocturnes (le dernier fait entendre un chœur de sirènes antiques).

En tant que flûtiste, Noémi Győri est une grande admiratrice de Debussy. Pour elle, le Prélude à l’après-midi d’un faune (1894) et Syrinx (pour flûte solo, 1913) marquent une étape cruciale dans l’histoire de la flûte, après l’apport majeur de Johann Sebastian Bach. La musicienne aime rappeler d’ailleurs la célèbre phrase de Pierre Boulez : « C'est avec la flûte du faune que commence une respiration nouvelle de l'art musical. […] La musique moderne commence avec L'après-midi d'un faune ». En réfléchissant sur ce répertoire, elle réalise, à 37 ans, que ces deux œuvres sont des histoires où seule la parole masculine est mise en avant (celle du faune et celle de Pan dans Syrinx). Elle se demande même : « Comment puis-je, en tant que femme, interpréter de telles pièces ? En soi, le mythe antique de Syrinx a quelque chose d’effrayant quand on y pense : une nymphe, transformée en roseau, est mutilée par un homme qui la découpe pour en faire une flûte de Pan. Quand Debussy reprend l’histoire, son Pan découpe un roseau parmi tant d’autres, on ne sait pas s’il s’agit de Syrinx elle-même, mais on peut le supposer ». 

Lorsque Daniel Weissmann, l’ancien Directeur général de l’OPRL l’invite en concert à Liège, Noémi ne souhaite pas jouer avec l’Orchestre dans un concerto pour flûte traditionnel (Mozart, Reinecke, etc.). Il lui faut un projet fort, digne de l’institution et de ses musiciens. Plongée depuis des années dans cette relation entre la flûte et le monde antique, il lui paraissait fondamental de proposer une pièce qui serait le pendant féminin du monde de Debussy. C’est ainsi que s’est imposée l’idée d’une commande au compositeur britannique Christian Mason (né en 1984), formidable créateur « d’atmosphères aux pouvoir hallucinatoires » (Classical Source), qui a reçu ces dernières années des commandes de l’Orchestre Philharmonique de Vienne, du Philharmonia, du Festival de Lucerne ou encore du Konzerthausorchester de Berlin

Thaleia est le premier concerto écrit par Mason. Même sans jouer de l’instrument, le compositeur en connaît toutes les subtilités : sa mère a joué un peu de flûte et son épouse est flûtiste professionnelle ! En dialogue étroit avec Noémi Győri, et avec beaucoup d’ouverture d’esprit, il a réalisé une œuvre en trois mouvements (20 minutes au total) qui se veut une véritable réponse au Prélude à l’après-midi d’un faune dont il reprend à l’identique l’effectif orchestral. Il évoque en outre dans sa cadence, quelques citations subtiles de Syrinx, pour rappeler le lien complice que Noémi entretient avec cette œuvre. 

Dans sa création, Mason met surtout en avant la parole d’une femme, autrement dit les désirs, le ressenti, les aspirations d’une nymphe de la mythologie antique, Thaleia (Thalie en français). Celle-ci vit sur le mont Etna, en Sicile, elle est aimée du roi des dieux, Zeus, mais doit se cacher sous la terre par crainte de la jalousie d’Héra (l’épouse de Zeus). Elle y met au monde ses jumeaux (appelés les Paliques). 

La musique de Mason n’est pas un poème symphonique descriptif. Pour Noémi, elle évoque plutôt « les qualités de fécondité et d’épanouissement que Thaleia incarne et qui grandissent au fur et à mesure de la progression de l’œuvre ». Le compositeur joue d’ailleurs beaucoup sur les répétitions de phrases, sur les canons (parfois amorcés par la flûte), « sans doute une allusion aux deux enfants de Thaleia ». Intégrant parfois les sons de la nature, Mason aime également développer sa musique jusqu’à l’extase, en une sorte de jaillissement qui rappelle que les jumeaux sont les dieux siciliens des sources chaudes et des geysers. Les parties de flûte (et de piccolo !) font appel à une très grande technicité pour mieux rendre à la fois la force et la vulnérabilité de la nymphe. 

Dans un esprit d’art total, la flûtiste portera à l’occasion de cette création une tenue spécifiquement dessinée par la styliste franco-israélienne Noémie Weismann qui s’inspire des tenues de la sculpture grecque antique. Elle sera également parée d’élégants bijoux conçus par la créatrice Anna Zeibig, fabriqués à partir d’argent, de bois, de glands, de matériaux organiques issus des forêts. « Ils évoquent le dieu Pan et sont l’expression du désir, de la douleur et de la passion sauvage. » 

Gergely Madaras et Noémi Győri donneront l’œuvre avec le BBC National Orchestra of Wales. Cette première britannique est programmée le 21 juin, à Cardiff.


Stéphane DADO

 

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 L'interview de Gergely Madaras et Noémi Győri