Rencontre avec Aude Miller

Membre d'un trio pour piano et cordes (« Les Équilibristes ») et du trio « Les Sans Papiers », la violoniste de l'OPRL présente le "Happy Hour!" About US, à l'affiche le 12 février.

Vous êtes violoniste au sein des deux trios que le public pourra découvrir sur la scène de la Salle Philharmonique : « Les Sans Papiers » et « Les équilibristes ». Pouvez-vous nous les présenter ?

Le trio « Les Sans Papiers » est né en 2015. Nous avons choisi ce nom à la fois en référence à l’absence de partitions, puisque nous ne faisons que de l’improvisation, mais aussi pour montrer que la musique dépasse les frontières géographiques et les frontières de genres : chacun vient avec ce qu’il est, et l’émotion musicale dépasse toute forme de catalogage.

À mes côtés, il y a Nicolas Billaux, musicien de formation classique très polyvalent (hautboïste, il joue aussi du cor anglais, est chef de chœur, chanteur…), et émilie Skrijelj, accordéoniste autodidacte, très ouverte elle aussi à des projets décalés et active dans des répertoires non-classiques. émilie est italo-yougoslave, installée en France. Je suis française et je vis en Belgique depuis mon entrée à l’OPRL en 2005 ; Nicolas est français, né aux USA, et installé au Luxembourg.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

J’ai rencontré Nicolas en 2011, dans le cadre d’ateliers que je proposais à des instrumentistes et à des choristes, qui mêlaient l’improvisation et des techniques de relaxation empruntées à la sophrologie et au yoga. Ensemble, nous avons participé à plusieurs projets dont le spectacle « blanContact, Et le jour prend forme sous mon regard » : une œuvre chorégraphique d’Annick Pütz et de Thierry Raymond, où artistes professionnels et danseurs amateurs avec et sans handicap se rencontrent. C’est là que nous avons rencontré émilie.

De quand date votre intérêt pour l’improvisation ?

De 2002 environ. Cela m’a donné énormément de souffle et d’énergie durant mes études de violoniste classique. J’ai commencé par suivre « l’option improvisation », puis j’ai intégré la classe d'Improvisation Générative au CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris) : un vrai projet sur trois ans, à raison d’un jour par semaine. Cela m’a permis de me trouver en tant que musicienne, et de côtoyer des instrumentistes du jazz, du classique, mais aussi des danseurs, des compositeurs…

Comment travaille-t-on l’improvisation ?

Cela dépend des humeurs… et des personnes. Personnellement, j’aime me fixer des contraintes qui cadrent mon travail : par exemple, décider de jouer « contre » quelqu’un, ou de jouer « avec », ou encore rester dans un univers stylistique puis changer subitement d’idée, etc. Le travail peut sembler assez libre ; les directions que prennent les improvisations sont souvent liées à notre vécu du moment, aux musiques que nous avons travaillées, écoutées, etc… Ce travail crée entre nous trois une écoute, des réflexes ; il en reste toujours une trace au moment du concert.

À ce trio d’improvisation va s’ajouter votre autre trio : « Les équilibristes »

Oui, c’est vraiment l’autre facette de mon travail de musicienne : le rapport à la musique écrite, que je pratique évidemment à l’OPRL, et en musique de chambre. Depuis 2006, je forme avec Geoffrey Baptiste le Duo Dzêta, et nous y intégrons Christelle Heinen pour ce concert. C’est une violoncelliste formidable que j’ai rencontrée lors du projet « Mozart Vibrations » d’éric Gerstmans ; elle a une ouverture d’esprit et une curiosité musicale qui collent parfaitement avec ce projet… un peu décalé.

Mon idée était de partir d’un programme d’œuvres écrites, interprétées par ce trio,

mais en choisissant des musiques américaines audacieuses, peu connues, quitte à devoir les transcrire pour notre formation. Sur ce fil conducteur viendront se greffer des moments d’improvisation, entre les œuvres, ou entre leurs mouvements. Ce sera le rôle des « Sans Papiers ».

Le travail de transcription était donc indispensable, car les chansons de Cole Porter, le Quatuor de Philip Glass ou encore le Quintette de David Balakrishnan (violoniste fondateur du Turtle Island Quartet, qui mêle influences classiques, rock et jazz) devaient être revus pour fonctionner en trio violon-violoncelle-piano. D’où le nom de notre trio, « Les équilibristes », car il a fallu se mettre au travail et tester nos idées d’arrangements. Un travail de funambule, rendu passionnant par les personnalités de Geoffrey et Christelle et leurs parcours musicaux au sein d’autres formations atypiques.

Les improvisations seront-elles dans les mêmes univers musicaux que les œuvres choisies ?

« About US », c’est un programme américain qui balaie très large, du swing de Cole Porter aux tonalités plus rock et très rythmiques de Balakrishnan. On passera par l’esthétique minimaliste de Philip Glass et l’univers très personnel de Jennifer Higdon. Les improvisations seront forcément influencées par ces univers musicaux, et c’est aussi le but des répétitions que nous faisons ensemble pour préparer le concert, mais on ne peut pas prédire si les improvisations iront dans les mêmes directions esthétiques, ou au contraire, viendront provoquer une coupure ou mettre quelque chose en relief… Les oreilles fonctionnent à toute vitesse et le résultat est imprévisible. L’aspect humain lié à la rencontre de toutes ces personnes sera aussi un paramètre important de ce concert. About US, c’est cela aussi : « à propos de nous »…

Y a-t-il beaucoup de musiciens d’orchestre qui s’intéressent à l’improvisation ?

Non, l’improvisation fait souvent peur, alors qu’il n’y a pas de raison. On entend souvent dire : « Je ne sais pas le faire, je ne saurai jamais » ou encore « ça ne va pas être bien, c’est faux, c’était pas ça ».  Mais en fait, c’est toujours possible, il n’y a pas d’erreur ! C’est juste une question d’écoute, d’envie d’explorer des choses, et de se permettre de tomber. Pour apprendre à improviser, il faut se laisser déséquilibrer, se mettre en danger, pour avoir l’occasion de trouver autre chose… ce qui permet de se trouver soi-même !

Vous n’avez jamais connu cette sensation de blocage ?

Si, bien sûr ! On a le trac, on sait qu’on est écouté, mais la clé, c’est de se souvenir qu’il ne s’agit pas de performance. Si on pense qu’on « se trompe », alors il faut y aller franchement et c’est là que ça devient intéressant. Si tout est contrôlé, on reste dans sa zone de confort.

La sophrologie est aussi très utile dans ce cadre-là car elle permet de travailler sur la détente mentale, le lâcher-prise et la confiance en soi. Le relâchement du corps et de l’esprit, ou quelquefois la lecture d’un texte, sont des mises en condition très utiles. S’installent une détente et un recentrage qui permettent de commencer le travail quand on prend son instrument. Et si ce n’est que quelques notes… du moment qu’on les vit, c’est tout ce qu’on demande.

Propos recueillis par Séverine Meers
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