Rencontre avec Adrien La Marca, nouvel artiste en résidence de l'OPRL

Le jeune altiste évoque les enjeux de sa résidence et donne les clés de lecture du Concerto de Walton qu'il interprète avec l'OPRL et Christian Arming, le 20 septembre à Saint-Vith et le 21 à Liège.

Adrien La Marca, qu’est-ce que cette résidence représente pour vous ?

Il s’agit d’un enjeu majeur car c’est ma première résidence au sein d’un orchestre. Et cela implique une grande responsabilité pour montrer à quel point l’alto est un instrument fascinant. Cette résidence à l’OPRL englobe en effet beaucoup de choses : jouer avec orchestre, faire de la musique de chambre avec des musiciens de l’OPRL dans la série « Happy Hour ! », assurer des créations, participer à des activités pédagogiques (notamment un « Music Factory »), et même rencontrer les jeunes d’El Sistema Liège. Pour moi, c’est un jalon important dans ma carrière. Pour le public, cela se traduira par une variété de rendez-vous, et peut-être aussi par la création de liens forts avec les spectateurs. Enfin, je tiens à dire que je suis particulièrement heureux que cette résidence se fasse à la Salle Philharmonique de Liège, où j’ai eu la chance d’enregistrer mon premier CD avec piano.

La diversité des approches est-elle courante dans d’autres orchestres ?

Pas de cette manière. Il arrive souvent que l’on donne un concert, précédé d’une répétition générale pour les écoles, parfois doublé d’une masterclasse… Mais on n’a jamais l’occasion de participer à un projet aussi complet. C’est d’ailleurs la première fois que jouerai en musique de chambre avec les membres d’un orchestre qui m’invite.

Est-il rare qu’une résidence soit ouverte à un altiste ?

C’est un phénomène récent. Cela n’aurait jamais été possible il y a 50 ans car l’alto était peu mis en valeur par les grands compositeurs… même si Bach, Mozart, Beethoven en jouaient volontiers. Il n’y avait pas de professeurs ni de classes d’alto. L’instrument était relégué au second plan car on pensait que c’était un instrument réservé aux musiciens qui n’avaient pas de facilités pour le violon. Ce n’est qu’au XXe siècle, grâce à des pionniers comme Lionel Tertis et William Primrose, que l’instrument a acquis ses lettres de noblesse. Violonistes de formation, ils ont trouvé dans l’alto l’instrument apte à développer leur propre personnalité. Ils lui ont donné un statut de soliste et ont suscité de nombreuses compositions nouvelles. Avec le temps, il y a eu une formidable éclosion d’artistes de talent comme Serge Collot, Gérard Caussé, Kim Kashkashian, Yuri Bashmet, Tabea Zimmermann, Lawrence Power, Antoine Tamestit, Lise Berthaud… De nos jours, le niveau est devenu aussi élevé que pour le violon et le violoncelle, au point de susciter ce type de résidence.

Quelle a été l’utilité des concours dans votre parcours ?

Je pense que les concours sont un bon tremplin pour plusieurs raisons. Cela induit un travail beaucoup plus intense et une préparation mentale autant qu’instrumentale. C’est différent du concert, il faut être prêt à 200 % car la concurrence est rude. Cela pousse à assimiler beaucoup de répertoires et aller au fond des œuvres. Les concours m’ont aussi permis de beaucoup voyager et de rencontrer des collègues dont certains sont devenus des amis, ou des membres de jurys avec qui j’ai joué par la suite. Les concours nous aident à nous faire connaître car ils sont médiatisés et nous permettent de passer du statut d’étudiant à celui de jeune professionnel. C’est une carte de visite et un premier jalon dans la carrière d’un jeune musicien classique.

Quels liens vous unissent au Concerto de Walton ?

C’est le premier concerto que j’ai étudié et le premier que j’ai joué en concert. En remportant le Concours Avant-Scènes à Paris, en 2010, j’ai obtenu de pouvoir jouer en récital à Londres et avec orchestre à Paris. J’ai donc pu jouer le Concerto de Walton à la Cité de la Musique, avec l’Orchestre du Conservatoire de Paris. Ce concert a fait l’objet d’un enregistrement privé en DVD qui m’a d’ailleurs servi par la suite pour l’admission à d’autres concours. J’ai aussi obtenu le Prix de la meilleure interprétation du Concerto de Walton, au Concours Primrose de Los Angeles. C’est le concerto que j’ai le plus joué depuis le début de ma carrière.

Qu’est-ce qui vous séduit dans ce concerto ?

Cette œuvre offre plusieurs niveaux de lecture. On peut la considérer comme un récit d’aventure, une musique épique qui fait voyager à travers différents paysages. On sait que Walton écrivait beaucoup de musiques de films et cela s’entend. C’est aussi une musique très publique, qui transporte et provoque beaucoup d’émotions. Mais je suis aussi persuadé que c’est également un concerto plus profond qu’il n’y paraît, qui porte en lui un certain idéal et qui dépasse au fond l’aspect purement narratif.

Quelles ont été les influences de Walton pour ce concerto ?

Je pense que Walton a été très influencé par le Concerto pour violon n° 1 de Prokofiev : même structure en trois mouvements, avec un scherzo espiègle au centre, mêmes montées de gammes, ambivalence majeur-mineur, similarités de traits de clarinette ; et un finale qui reprend les thèmes des mouvements précédents, comme chez Prokofiev. Walton n’a sans doute pas voulu copier Prokofiev mais a été marqué inconsciemment par une œuvre qui lui avait fait forte impression. 

Quelles en sont les difficultés techniques ?

La version de 1929 propose une masse sonore très importante et elle impose à l’altiste de jouer très fort pour se faire entendre ; c’est une des difficultés majeures. Celle de 1961 est plus aisée car les équilibres instrumentaux ont été retravaillés. Les premiers interprètes ont enrichi la partie d’alto pour la faire sonner davantage. Personnellement, je m’en tiens au texte musical de 1961, auquel j’intègre les nuances de tempi du manuscrit de Hindemith, qui ont certainement été validées par Walton à la création. Or curieusement, elles diffèrent en plusieurs endroits de la version éditée.

Pourquoi ce concerto est-il si rarement donné en concert ?

Quand on parle d’œuvres pour alto et orchestre, les programmateurs de salles de concerts pensent souvent à Bartók, Hindemith ou Berlioz (Harold en Italie). Walton ne vient pas spontanément à l’esprit. Et pourtant, à chaque fois que le public entend cette œuvre, il réagit positivement. C’est un concerto au lyrisme incroyable. Pour moi, il s’agit clairement du meilleur des trois concertos de Walton. Je suis très heureux de le faire découvrir au public de Liège.

Comment se conçoit le dialogue entre l’alto et l’orchestre ?

L’alto a un vrai rôle lyrique dans cette œuvre, même si on peut aussi trouver des passages plus conflictuels, voire une véritable bataille. Parfois l’alto joue le rôle d’accompagnateur et entame de beaux dialogues avec certains instruments de l’orchestre. Il y a dans ce concerto un côté musique de chambre à grande échelle. C’est une vraie symbiose qui se crée entre l’alto et l’orchestre.

Propos recueillis par Stéphane Dado et Éric Mairlot