Don Quichotte : l'interview intégrale

Le regard de Christian Arming sur Don Quichotte, le plus chevaleresque des poèmes symphoniques de Richard Strauss, au programme des Concerts du chef le dimanche 21 janvier, à 16h.

 

La série « Les concerts du chef » privilégie vos coups de cœur. Pourquoi Don Quichotte de Strauss fait-il partie de ceux-ci ?

Richard Strauss est l’un des compositeurs que je vénère. J’ai déjà dirigé plusieurs de ses œuvres avec l’OPRL. Après Ainsi parlait Zarathoustra et les Quatre dernier Lieder, le choix de Don Quichotte s’imposait car j’aime énormément cette musique. C’est une partition orchestrale qui convie deux parties solistes (un violoncelle et un alto). Chaque instrument incarne un personnage – le violoncelle Don Quichotte, l’alto Sancho Pança –  d’une façon si pittoresque, si humoristique et descriptive que cela fait de cette partition une pièce unique, tant dans l’œuvre de Strauss que dans tout le répertoire pour orchestre. 

Après le très philosophique Ainsi parlait Zarathoustra, Richard Strauss s’attaque à un sujet en apparence moins sérieux : Don Quichotte. Y a-t-il néanmoins une forme d’idéalisme dans cette musique ?

Don Quichotte est sans conteste une partition plus légère que Zarathoustra, sans ce côté sérieux et ces couleurs d’une profonde noirceur. Ce qui n’exclut pas un niveau de lecture plus profond. S’il est atteint d’une douce folie, Don Quichotte est quelqu’un qui a une vision de la vie, il vit chacune de ses aventures avec force et motivation car c’est avant tout un être en quête d’absolu. Un idéal qui donne au personnage toute sa profondeur. Cela se traduit par des thèmes très inspirés (où se manifeste cette vision idéaliste), entrecoupés de thèmes plus légers.

Pourquoi la forme de la variation est-elle privilégiée par Strauss dans Don Quichotte ?

C’était la meilleure solution pour mettre en avant la richesse de caractère des deux personnages. Don Quichotte et Sancho Pança ont chacun leur propre thème, bien distinct, à la manière d’un leitmotiv. Ces thèmes se métamorphosent d’une variation à l’autre pour montrer les différentes facettes et péripéties des personnages. Une symphonie, conçue selon d’autres codes, ne permettrait pas une telle flexibilité thématique.

Don Quichotte, c’est le héros en prise avec ses ennemis. Peut-on dire que c’est déjà le sujet d’Une vie de héros, autre poème symphonique de Strauss, avant la lettre ?

Parfaitement, on pourrait même dire qu’il s’agit d’Une vie de héros avant Une vie de héros. Don Quichotte est à sa manière un anti-héros. J’ai toujours ressenti de la sympathie pour ce personnage, y compris dans ses défaites, car il est le prototype de l’homme de bien, du gars sympa qui ne veut faire de mal à personne. C’est en cela qu’il a l’étoffe d’un héros. Par ailleurs, il y a des similarités musicales évidentes entre Don Quichotte et Ein Heldenleben. Les deux héros meurent dans une atmosphère de transfiguration... 

Don Quichotte requiert un violoncelle et un alto solos ? L’œuvre est-elle pour autant un double concerto ? Comment le compositeur aborde-t-il la question de la virtuosité ?

On ne peut pas considérer l’œuvre comme un « double concerto » puisque, formellement, nous ne sommes pas dans une pièce en trois mouvements avec ses codes habituels (un mouvement vif, un mouvement central lent, un dernier mouvement rapide). De plus, le violoncelle et l’alto sont intégrés dans l’orchestre. Ils jouent souvent seuls mais, la plupart du temps, ils font partie de l’orchestre. L’œuvre n’a pas non plus la virtuosité d’un concerto, quand bien même elle reste difficile à jouer. Le défi majeur pour les deux instrumentistes est de bien se représenter les différents aspects psychologiques de leurs personnages afin de trouver la couleur caractéristique pour chaque moment narratif. Sans compter que chaque personnage n’est pas représenté par un seul instrument. Sancho Pança par exemple est incarné par l’alto mais aussi par la clarinette basse ou le tuba ténor, qui doublent certaines parties d’alto. Cela donne une couleur plus riche aux personnages et nous éloigne des codes du concerto soliste. Cela contribue à rendre l’œuvre fascinante...

Propos recueillis par Stéphane Dado