Rencontre avec Camille Thomas

Camille Thomas en concert avec l'OPRL Liège

Dédicataire du Never Give Up de Fazil Say, la violoncelliste franco-belge dit tout sur cette musique foisonnante qu'elle interprète avec l'OPRL du 4 au 6 avril, à Liège, Charleroi et Eupen, sous la baguette de Jean-Jacques Kantorow.

Le concerto Never Give Up de Fazil Say a été composé pour vous. Comment ce projet est-il né ?

J’ai rencontré Fazil Say en 2014, aux Victoires de la Musique, et nous avons sympathisé ; c’est à la suite de nos discussions qu’est née l’idée d’un nouveau concerto pour violoncelle, qu’il souhaitait me dédier. C’était une première pour moi !

Parallèlement à cela, j’ai fait la connaissance de Bernard Magrez, un très grand mécène qui a mis à ma disposition le violoncelle que je joue actuellement, un Ferdinand Gagliano de 1788 auquel il a donné le nom d’un de ses domaines, le « Château Pape Clément ». Lorsque je suis allée le rencontrer à Bordeaux, il exposait une série de tableaux qu’il avait commandés à plusieurs artistes peintres, sur le thème « Ne jamais renoncer ». C’est un thème qui me parle vraiment, et une phrase qui correspond bien à la personnalité de Fazil Say. Tout cela a fait sens pour moi, et de là est née l’idée que le concerto pour violoncelle (commandé par l’Institut Culturel Bernard Magrez) porte ce titre : Never Give Up.

Comment s’est passée la collaboration avec Fazil Say ?

Il m’a envoyé les partitions au fur et à mesure de son travail ; je suis aussi allée à Istanbul travailler avec lui (il jouait les parties d’orchestre au piano). Il était présent aussi à Paris au moment des répétitions et de la création ; il jouait d’ailleurs lui-même, lors du même concert, un concerto pour piano de Beethoven. C’était très émouvant de le voir là durant le travail, de pouvoir bénéficier de ses conseils, et de voir naître une œuvre aux oreilles de son compositeur.

Au moment de la création, il a préféré écouter des coulisses, un peu anxieux, dans l’attente du retour du public. Et ce retour a été extrêmement enthousiaste : de toutes les œuvres que je joue en concert, c’est l’une de celles qui suscite le plus de réactions des spectateurs. Elle parle aux gens, car elle est très actuelle et propose un cheminement qui voit le retour de l’espoir, de la nature, et d’une certaine foi en l’avenir. Depuis lors, j’ai joué l’œuvre avec l’Orchestre de Bretagne, mais elle n’a encore jamais été jouée en dehors de la France. Ce sera la première belge de l’œuvre avec l’OPRL pour ces trois concerts.

Vous êtes née à Paris de parents belges ; votre formation musicale a eu lieu à Paris et en Allemagne. Quelle place occupe la Belgique dans votre vie ?

Une grande place ! Toute ma famille, hormis mes parents et mes sœurs, habite en Belgique, et j’y reviens très souvent. J’ai aussi vécu en Belgique durant mes études en Allemagne. C’est la Belgique, aussi, qui m’a offert mes premières chances sur scène, avec des concerts au Conservatoire de Bruxelles, aux Midis-Minimes, un récital à Bozar… C’est là que j’ai fait mes premiers pas dans la cour des grands. Jouer en Belgique, c’est un peu comme être à la maison, et j’apprécie beaucoup le public belge, qui est chaleureux, cultivé, très à l’écoute.

Votre parcours professionnel a connu une explosion spectaculaire en très peu de temps (Prix UER des Jeunes Talents en 2014 ; et dès 2017, contrat d’exclusivité chez Deutsche Grammophon). Cela a-t-il été difficile à gérer ?

Vu de l’extérieur, cela peut donner cette impression de changement soudain, et bien sûr, beaucoup de choses se sont accélérées en 2017. Mais je l’ai plutôt vécu comme une évolution régulière, un chemin qui s’est construit pas à pas, avec à chaque étape, toujours énormément de travail. D’une certaine façon, la qualité appelle la qualité : les portes qui se sont ouvertes sont d’un niveau artistique élevé, et jouer dans de bonnes conditions avec de grands musiciens me pousse à me dépasser. Il y a une vraie joie, une exaltation très positive.

Votre choix de devenir violoncelliste s’est imposé comme une évidence, un devoir même. On vous décrit souvent comme une soliste totalement passionnée. Comment concilier cela avec le travail au quotidien ?

J’ai toujours tout donné au violoncelle, mais cela s’est fait très naturellement. L’art au plus haut degré ne souffre aucune demi-mesure, et l’extrême beauté se trouve au bout de l’extrême travail. Alors oui, bien sûr, on est confronté à soi-même tout le temps, à ses doutes et à ses limites, et c’est un métier difficile psychologiquement ; mais je suis très bien entourée, ce qui est primordial pour que je poursuive cette recherche musicale sans relâche.

J’ai appris que les grandes joies et les grandes peines font partie du métier. Les extrêmes, lumière ou ombre, peuvent être très forts. Mais si l’on vit à fond ses doutes et qu’on les surmonte, cela permet de rebondir et d’aller plus loin. On revient à l’idée de ténacité qui fait le titre du concerto de Fazil Say : « Ne jamais renoncer »… 

Par sa musique, Fazil Say devient acteur du monde d’aujourd’hui ; ses compositions expriment les drames et les enjeux de l’humanité. Est-il nécessaire de « s’engager » en tant qu’interprète ?

En tant que musicien, on vit une forme d’engagement, même sans prendre position politiquement. En transmettant la musique, qui est une forme très élevée de spiritualité, on peut apporter du bonheur et de l’espoir. Mon engagement de musicienne, c’est d’ouvrir les grandes musiques au plus grand nombre, en parlant à leur cœur. Ce concerto pour violoncelle donne d’ailleurs à mon instrument le souffle de la voix humaine, qui pleure, ou chante, au-dessus du chaos, qui est incarné par l’orchestre. Et l’espoir sera le thème de mon prochain disque pour Deutsche Grammophon, que j’enregistre en avril avec le Brussels Philharmonic Orchestra et Stéphane Denève. On y trouvera le Concerto Never Give Up de Fazil Say, des airs d’opéras transcrits pour le violoncelle, ou encore des pièces comme Kaddish de Ravel ou Kol Nidrei de Max Bruch.

Vous avez déjà travaillé avec l’OPRL en 2015, à l’occasion d’un concert à Anvers, consacré à Albert Huybrechts. Quel souvenir gardez-vous de cette première collaboration ?

L’OPRL est le premier orchestre belge à m’avoir engagée ; j’ai une relation particulière avec cet orchestre, et je suis très heureuse que ce projet autour de Fazil Say se concrétise avec trois concerts dans trois salles belges. C’est une confiance qui me touche beaucoup et je suis impatiente de découvrir le public liégeois dans cette salle que j’adore !

Propos recueillis par Séverine Meers

 

Réserver à Liège (04/04)
Réserver à Charleroi (05/04)
Réserver à Eupen (06/04)