Rencontre avec Benoît Mernier

Benoît Mernier

Les 17 et 22 novembre, la nouvelle création de Benoît Mernier est au programme de l'OPRL dans le cadre des 30 ans du Festival Ars Musica. Évocation avec l'artiste.

D’où vient le titre Comme d’autres esprits ?

Quand j’ai reçu cette commande du Festival Ars Musica, son directeur Bruno Letort m’a tout de suite dit que l’œuvre serait jouée avant Tout un monde lointain de Dutilleux (en tout cas, à Bruxelles, le 22 novembre). J’aime beaucoup cette œuvre pour violoncelle et orchestre dont le titre est extrait du poème La Chevelure de Baudelaire, en particulier du septième vers « Tout un monde lointain, absent, presque défunt ». Pour m’inscrire dans cet univers, j’ai choisi de reprendre le début du neuvième vers « Comme d’autres esprits voguent sur la musique ». Cela donne un côté un peu programmatique à l’œuvre, mais concrètement, je n’ai pas suivi la trame du poème de Baudelaire. Par ailleurs, tout en composant, je me suis rappelé un peu par hasard que j’avais déjà mis en musique, en 2009, un autre poème apparenté de Baudelaire (en prose, celui-là !) intitulé Un hémisphère dans une chevelure, qui trouve de nombreux échos dans la forme versifiée La Chevelure.

L’œuvre comporte une double dédicace : « Pour le 30e anniversaire du Festival Ars Musica » et « À la mémoire de Robert Wangermée »…

J’étais déjà en train de composer, à l’été 2019, quand j’ai appris le décès de Robert Wangermée, qui a tant fait pour le Festival Ars Musica et la musique en Belgique. Cette dédicace était naturelle mais elle n’a pas conditionné l’œuvre. Comme d’autres esprits est avant tout une pièce d’atmosphère, un long adagio, à la fois statique et mobile, calme et miroitant, un peu comme un bateau posé sur la mer… Cela tombe bien puisqu’à Liège, l’œuvre est programmée aussi en regard de La Mer de Debussy, mais c’est fortuit ! Disons que ma pièce s’inscrit dans un univers musical plutôt français, que je côtoie depuis longtemps et que j’affectionne particulièrement, notamment au niveau de l’orchestration. Toutefois, cela ne m’a pas empêché de laisser dans la partition, une brève citation de Wagner (les deux premières mesures de l’Acte III de Tristan et Isolde), qui s’est imposée naturellement. J’évite généralement ce genre de « corps étrangers » dans mes œuvres, mais ici je l’ai conservé car il s’agit plutôt d’une « ambiance de souvenir », l’idée d’un « ailleurs » mais aussi le rapport à Baudelaire (sa fameuse lettre d’admiration à Wagner et les éléments amoureux qu’il propose dans son poème La Chevelure).

La partition comporte de nombreuses sonorités voilées, et aux cuivres, un large usage de sourdines (de type Bol, Plunger, Bucket, Harmon)…

Oui, elle commence par un solo de harpe, sorte de mélopée étrange, et se poursuit dans un climat de douce nostalgie, une nostalgie « de passage » dans laquelle on ne s’enlise pas. On y entend également des allusions à l’Asie et à l’Afrique (solo de basson), selon un exotisme « de climat » plutôt que « de pacotille », en hommage aussi à l’esprit raffiné de Tout un monde lointain de Dutilleux. L’idée est vraiment celle de « voguer sur la musique », parfois dans une chaleur ou une moiteur presque érotique. La taille de l’orchestre ne dépasse pas celle de l’œuvre de Dutilleux, avec les bois par 3 (comportant aussi la flûte alto, le piccolo, la clarinette basse et le contrebasson), 4 cors, 2 trompettes, 2 trombones ténors, 1 tuba, les timbales, percussions, 1 célesta et les cordes.

L’improvisation nourrit-elle votre processus de composition ?

Dans un premier temps, je laisse venir l’inspiration au clavier selon un plan non déterminé. Ensuite, j’alterne le travail au clavier et à la table, et je laisse la pièce se développer d’elle-même, s’auto-justifier, trouver sa cohérence, au besoin en réinjectant en amont des éléments qui se sont manifestés plus tardivement. Sur le plan de l’orchestration, je recherche avant tout une sensation auditive globale, résultant de la juxtaposition d’éléments particuliers, sans que l’on puisse distinguer ceux-ci de manière trop individuelle ou trop univoque. Je veille aussi à procurer un matériau musical intéressant à tous les instruments, à ne pas les hiérarchiser entre eux, à en donner « un peu à tout le monde ». J’évite donc de privilégier les premiers violons au détriment des seconds, ou la première flûte par rapport à la deuxième… C’est une science de l’écriture qui m’a toujours fasciné chez quelqu’un comme Eliott Carter (1908-2012), par exemple, bien que mon langage en est assez éloigné. Ses partitions sont complexes, mais en même temps tellement bien écrites et adaptées à la technique de chaque instrument. Cela aide les musiciens à se sentir investis…

Que peut-on dire de votre actualité ?

Je participe en ce moment au projet Pierrot Rewrite, qui consiste à mettre en musique les 50 poèmes du Pierrot lunaire d’Albert Giraud (1860-1929), poète symboliste belge dont Arnold Schoenberg s’est servi pour composer son célèbre Pierrot lunaire de 1912 (d’après une traduction d’Otto Erich Hartleben). Ce projet, lancé par l’ensemble Musiques Nouvelles, s’adresse à plusieurs compositeurs. Une grande partie du corpus existe déjà, j’y apporte ma contribution pour un des poèmes. Par ailleurs, je termine un recueil de pièces pédagogiques pour le piano, commande du Conservatoire de Nancy, en vue d’une masterclass qui se tiendra en janvier 2020, pour des pianistes débutants et confirmés, sans compter d’autres projets de musique de chambre et d’orchestre à venir.

Propos recueillis par Éric Mairlot.

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