L'orgue au féminin : rencontre avec Marie-Agnès Grall-Menet

Jeanne Demessieux honorée à Liège

En concert le 4 novembre prochain sur l'orgue Schyven de la Salle Philharmonique, la grande dame de l'orgue français rend hommage à Jeanne Demessieux, autre grande figure de l'instrument, qui fut professeur au Conservatoire de Liège de 1952 à 1968.

Marie-Agnès Grall-Menet, pourriez-vous nous parler de votre parcours et des grands maîtres que vous avez fréquentés ?

J’ai commencé le piano au Conservatoire de Lille, vers l’âge de sept ans, mais c’est mon père, organiste amateur, qui m’a initiée à l’orgue (je me souviens qu’à dix ans, j’accompagnais le Kyrie XI grégorien à Marquette-Lez-Lille, où il était titulaire le dimanche, et que je m’étais lancée dans les deux premières pages de la Toccata de Widor !). Ensuite, j’ai suivi les cours d’orgue et d’harmonie de Jeanne Joulain, élève de Marcel Dupré, au Conservatoire de Lille, mais pas très longtemps car notre famille a déménagé près de Versailles, en 1970. Là-bas, j’ai poursuivi mes études de piano au conservatoire avec Madeleine Chacun, une amie proche de Jeanne Demessieux. Dans sa classe, j’ai connu notamment Hortense Cartier-Bresson, parente du célèbre photographe, aujourd’hui professeur de piano au Conservatoire National Supérieur de Paris. Parallèlement, j’ai poursuivi l’apprentissage de l’orgue à la Schola Cantorum avec Jean Langlais, organiste aveugle de la basilique Saint-Clotilde à Paris, puis avec Rolande Falcinelli, au Conservatoire Supérieur de Paris. J’ai aussi travaillé avec Michel Chapuis et André Isoir, pour l’interprétation, et avec Daniel Roth, pour l’improvisation.

Comment vous est venue l’idée de cet hommage à Jeanne Demessieux ?

Finalement, assez curieusement. Je jouais depuis longtemps des œuvres de Jeanne Demessieux, comme ses Préludes de chorals sur des thèmes grégoriens, mais je ne jouais pas toute sa production. En 2015, mon père est entré dans une maison de retraite, au Brémien Notre-Dame (Normandie), où l’on m’a présenté un autre organiste résident, et non des moindres, aujourd’hui âgé de 97 ans. Pierre Labric, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été l’élève et le plus ardent défenseur de Jeanne Demessieux dont il a été le premier à enregistrer l’intégrale pour orgue (sans compter ses nombreux enregistrements consacrés à Mendelssohn, Saint-Saëns, Liszt, Widor, Vierne, Reuchsel). Il m’a abondamment parlé de Jeanne Demessieux, qu’il a très bien connue, et a attiré mon attention sur le reste de son œuvre. Sur son conseil, j’ai commencé à réfléchir à la commémoration des 50 ans de la disparition de Jeanne, ce qui a débouché sur d’autres récitals, à la Madeleine, le 28 avril dernier, à Solliès-Toucas (Var) le 15 septembre, et à Notre-Dame de Paris, le 24 novembre prochain, lors des auditions d’orgue du samedi soir. Pierre Labric m’a dit : « Jeanne mériterait un hommage national en France ». 

Comment s’articule votre programme ?

J’ai voulu évoquer la personnalité de Jeanne, à la fois comme interprète et comme compositrice, avec d’une part, le répertoire qu’elle a abondamment joué et enregistré, qu’il s’agisse de grandes pages de Bach, Mozart (la grande Fantaisie en fa mineur), Widor (et sa célèbre Toccata), Messiaen et Franck (dont elle a enregistré l’intégrale à la Madeleine), mais aussi par le biais de plusieurs de ses pièces : le joyeux et pétillant Prélude et fugue op. 13, des pièces découvertes plus récemment sur le Lauda Sion, et son fameux Te Deum, qui a fait le tour du monde. J’y ai ajouté la Cadence jazzy que Jean Berveiller a spécialement dédiée à Jeanne Demessieux.

Quels sont vos projets pour les années qui viennent ?

J’ai plusieurs projets de récitals à l’Oratoire du Louvre, à Saint-Laurent de Paris, à la cathédrale de Montpellier… J’aimerais valoriser davantage les œuvres de Naji Hakim, un organiste-compositeur actuel de grand talent, mais insuffisamment connu à mon sens. Sur le plan personnel, j’aimerais accomplir en France, en 2019, une partie du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Propos recueillis par Éric Mairlot

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