« Le Sacre fait vibrer notre ressenti le plus profond ! »

Gergely Madaras

Pour l'ouverture de sa première saison, (R)évolution, Gergely Madaras propose l'énergie du Sacre et la flamboyance du violoncelle d'István Várdai. Explications avec le nouveau Directeur musical de l'OPRL !

La saison 19-20 « (R)évolution » est votre première saison en tant que Directeur musical de l’OPRL. Pourquoi l’ouvrir avec Le Sacre du printemps ?

Parce que c’est une œuvre qui reste révolutionnaire encore aujourd’hui. Elle ne fait plus scandale mais elle suscite encore une émotion très forte, qui est de l’ordre de la réaction instinctive. Écouter Le Sacre fait vibrer, aujourd’hui encore, notre ressenti le plus profond, presque animal ; le côté sacrificiel, tribal, nous renvoie aux origines, à la nature, et cette émotion est présente dans la musique. Chaque fois que je l’écoute, je découvre quelque chose de nouveau, de frais. Avec l’Orchestre, il faut travailler sur l’énergie, le collectif, la concentration, un niveau constant d’attention et d’intensité ; et cela peut alors devenir contagieux pour le public !

Qu’en est-il de la première partie du concert qui mélange grand répertoire et découverte ?

La Suite pour orchestre n° 2 d’Enesco est quasiment contemporaine du Sacre, puisqu’elle a été composée deux ans plus tard (1915), mais reste rare au concert. C’est une œuvre festive et colorée que nous venons de jouer (le 15/09) au Festival Enesco de Bucarest. Quant aux Variations rococo de Tchaïkovski, elles nous permettront de réentendre mon ami István Várdai. Nous avons étudié ensemble, à Budapest puis à Vienne. Nous avons presque le même âge (je suis né en 1984, lui en 1985). C’est, pour moi, l’un des plus importants violoncellistes d’aujourd’hui. Il a des capacités musicales exceptionnelles, combinant la flamboyance, la délicatesse, la couleur, la diversité, la capacité d’évocation… Je l’ai entendu dans les Variations rococo à Budapest. J’avais déjà dirigé l’œuvre par ailleurs, mais lors de ce concert, ces Variations m’ont semblé tout à coup d’une telle évidence, d’un naturel, où tout semble couler de source aisément, sans que l’on se pose de question. Chaque « goutte » de musique devient une perle, tout semble à sa place et découler fluidement de son jeu.

Et déjà paraît votre premier CD enregistré avec l’OPRL, consacré au compositeur belge Philippe Boesmans !

Cet album est emblématique de l’identité de l'OPRL (de son ADN) puisqu'il consacre 40 ans de collaboration avec l’un des plus grands compositeurs belges actuels. Les trois œuvres concertantes de ce disque – commandes de l’OPRL – sont complètement différentes. Ce sont diverses facettes, divers visages, de Philippe Boesmans. La plus révolutionnaire des trois est finalement la plus ancienne : le Concerto pour violon, composé en 1979. Notre concertmeister George Tudorache y fait merveille. Je dois dire que l’OPRL tient en sa personne un artiste de classe mondiale, un vrai trésor, avec qui j’espère monter d’autres projets. Paradoxalement, Boesmans a adopté un langage beaucoup moins complexe et avant-gardiste dans Fin de nuit pour piano et orchestre (2019), écrit 40 ans plus tard ! L’écriture y est presque classique, mélodique, avec des réminiscences de Gershwin, Ravel, un mélange de diverses influences classiques, des mélodies qu’on a l’impression de déjà connaître, des harmonies simples. Et comme chez Mozart, Haydn ou Beethoven, l’intonation, la clarté, la mise en place, doivent être d’une pureté de cristal. Un vrai challenge, lors duquel le soliste, David Kadouch, est resté d’un niveau de concentration et de qualité musicale constants. Entre les deux s’insère le très beau Capriccio pour deux pianos et orchestre, créé pour les 50 ans de l’OPRL (2011), qui a bénéficié des talents conjugués de David Kadouch et de Julien Libeer. Un grand bonheur !

Propos recueillis par Séverine Meers