Happy Hour! : « Nous avions envie d’aller chercher de la liberté d’interprétation dans des répertoires anciens et récents »

Bacchus ensemble

Qu’est-ce qui se cache derrière ce titre « De Zelenka à Bach(us) » ?

Sébastien Guedj : Une histoire de rencontres ! Nous souhaitions depuis longtemps, Jeroen et moi, jouer ensemble en dehors de l’Orchestre. Nous y sommes collègues au sein du pupitre de hautbois depuis cinq ans. Jeroen a proposé un projet de musique baroque, en particulier autour de Zelenka. Ses Sonates pour deux hautbois sont des œuvres importantes de notre répertoire ; l’une d’elles sera la pièce maîtresse de la partie baroque du concert. 

Jeroen Baerts : Nous sommes aussi tous les deux très intéressés par le jazz (qui entretient d’ailleurs des liens intéressants avec la musique baroque !). Je vais souvent aux concerts de jazz et j’écoute bien plus de jazz que de classique ! Mais le hautbois y est assez rarement utilisé.

SG : Et c’est là que le Bacchus Quartet intervient. Notre quatuor réunit deux couples d’amis : Joanie Carlier (bassoniste de l’OPRL) et son compagnon Sébastien Creppe (saxophoniste), ma compagne Audrey Luzignant (bassoniste) et moi-même. Un hautbois, deux bassons et un saxophone, c’est un effectif inédit. Nous sommes de formation classique, pas des spécialistes du jazz et de l’improvisation, mais avec le Bacchus Quartet, nous avons envie de sortir du répertoire classique. Nous avons donc confié à des arrangeurs un travail de réécriture, qui nous est totalement indispensable, qui s’oriente vers des influences jazz et latino.

JB : Grâce au travail des arrangeurs, le lien entre baroque et jazz est assuré. La première partie du concert est baroque, avec une ouverture de Zelenka, des extraits de sa Sonate n° 2 et plusieurs œuvres de Bach. Bach constituera le pivot entre les deux parties du concert : d’abord dans l’esprit original de sa musique, avec des pièces pour diverses formations, où le clavecin de Fabien Moulaert sera également très présent ; puis arrangé en « version jazzy », avec la célèbre Aria en ré majeur, mais aussi un pot-pourri de plusieurs pièces, avec Jeroen au cor anglais et le Bacchus Quartet. Le Bacchus Quartet continuera ensuite avec quelques pièces signées Bill Evans, Miles Davis, Maceo Parker ou encore Tom Jobim. Nous terminerons tous ensemble avec Miles Davis.

Est-ce un challenge, pour vous quatre, membres du Bacchus Quartet, de s’approprier un style non-classique ?

SG : Nous pouvons compter sur l’expérience de Sébastien Creppe, qui joue beaucoup en dehors des milieux classiques. Il nous explique d’autres façons de faire, des éléments à exagérer, des articulations différentes…  Nos deux arrangeurs, Bertrand et Frédéric Luzignant (les frères d’Audrey), sont tous les deux jazzmen et trombonistes ; la qualité fantastique de leur travail est un énorme atout. L’un est professeur de musiques actuelles à Nice et est très actif dans divers groupes de jazz ; l’autre est tromboniste de jazz et vit à Paris, il a fait partie du big band de l’Armée de l’Air et joue avec de nombreux artistes de renom (en ce moment, Véronique Sanson). Pour ce concert, nous avons aussi pu compter sur des arrangements de leur papa, Jean-Louis (pour l’ouverture de Zelenka), et de Johan Dupont, magnifique musicien liégeois aux multiples talents.

Le travail en répétition est-il simplifié par vos liens personnels ?

SG : Ce sont de véritables après-midis entre amis ! Les enfants jouent ensemble dans la pièce d’à-côté, on se retrouve souvent le dimanche… Bien sûr, on se dit les choses avec plus de franchise aussi (sourire), mais ça marche immédiatement, il y a une évidence entre tous les quatre. Nous le sentons, et c’est aussi ce que le public nous dit.

Jeroen, vous passerez du hautbois, pour la partie baroque, au cor anglais, pour la deuxième partie du concert. Est-ce difficile de passer de l’un à l’autre ?   

JB : C’est assez difficile, oui, car l’anche n’est pas la même pour les deux instruments. Dans les deux cas, il s’agit d’une anche double, mais leur taille est différente : celle du cor anglais est plus large (comme sa sonorité : plus profonde, grave, libre, mélancolique). Au moment où je change d’instrument, je dois donc maîtriser instantanément une anche qui a pu rester de longues minutes sans être utilisée. C’est très délicat, car je n’ai pas le contrôle sur son humidité. Quand j’attaque la première note, je suis comme suspendu au-dessus du vide… C’est une mise en danger, mais à l’orchestre, je fais cela très souvent.

Pourquoi avoir choisi de changer d’instrument durant ce concert ?

JB : Parce qu’en jazz, le cor anglais s’avère beaucoup plus intéressant. Sa sonorité se rapproche même un peu de celle du saxophone, si on choisit une anche spéciale. Sonorité qu’on évite évidemment quand le cor anglais est utilisé à l’orchestre !

JB : Il y a son côté mélancolique, aussi… Toots Thielemans disait que le jazz balançait entre le sourire et les larmes. C’est ça aussi, le cor anglais, c’est le même sentiment.

Quelles différences observez-vous lorsque vous quittez l’interprétation classique pour le jazz ?

SG : Avec le Bacchus Quartet, nous adoptons une autre manière de jouer, plus rythmique, plus verticale. Cela peut paraître paradoxal, mais lorsque nous jouons du classique, notre assise rythmique fluctue énormément, sans qu’on s’en aperçoive. On s’attend sur les fins de phrases, on modifie les tempos… En jazz, la batterie démarre et la structure rythmique générale ne bouge plus. C’est une autre manière d’aborder la musique. Il faut être plus libre et en même temps extrêmement rigoureux rythmiquement.

JB : à l’inverse, le classique exige beaucoup plus de précision des attaques, de respect des nuances, de qualité de son… tout cela doit être parfait. Dans le jazz, c’est le rythme et l’articulation qui priment.

SG/JB : Avec ce projet, on sort du cadre très « déterminé » du travail au sein de l’orchestre pour chercher de la liberté dans des répertoires plus anciens et plus récents. Une envie de liberté qui correspond aussi à l’esprit des « Happy Hour ! ». On peut d’ailleurs déjà dire que la présentation de William Warnier sera, elle aussi, marquée d’un brin de folie… comme le titre de l’ouverture de Zelenka, « La folie », qui nous plaisait beaucoup.

Vous évoquiez les liens entre le baroque et le jazz. Pouvez-vous nous en dire plus ?

JB : La technique du « continuo » baroque, dans lequel une basse surmontée d’accords sert de support harmonique aux mélodies supérieures, est assez proche des grilles d’accords d’un morceau de jazz. Le contrepoint baroque (le dialogue des mélodies) qui se développe sur cette basse trouve son équivalent dans les improvisations mélodiques du jazz.

SG : L’improvisation n’est pas née avec le jazz ; au Moyen Âge, à l’époque baroque, les cadences improvisées et l’ornementation offraient beaucoup de liberté. Aujourd’hui encore, quand on joue de la musique baroque, il faut faire des choix d’interprétation, prendre des décisions, même pour le choix des instruments, dans certains cas.

Que pouvez-vous nous dire de la Sonate n° 2 pour deux hautbois de Zelenka, dont vous jouerez des extraits ?

SG : Ses six Sonates pour deux hautbois sont assez redoutables : elles sont longues, virtuoses, mais elles ont l’avantage de placer les deux hautbois à parts égales.

JB : C’est important de bien se connaitre pour jouer cette musique, car il y a beaucoup d’interactions entre les deux hautbois. Par ailleurs, Zelenka était un compositeur un peu avant-gardiste ; dans ses sonates, il y a des moments très dissonants, audacieux pour l’époque, une recherche des limites.

SG : L’audace harmonique est telle que parfois on se demande s’il n’y a pas une erreur dans la partition ! Il était d’ailleurs très apprécié par ses contemporains, notamment par Bach.

Le fait d’être voisins de pupitres à l’Orchestre aura-t-il un impact sur votre interprétation ?

SG : Sans aucun doute ! ça marche tellement bien entre nous, nous nous connaissons si bien, qu’il y a cette évidence qu’on va bien s’entendre.

JB : Je connais la conception de Sébastien, sa façon de jouer… Jouer ensemble, c’est ce que nous faisons chaque semaine, il n’y a plus besoin de réfléchir.

SG : On ne se pose pas de questions sur la façon d’attaquer une note, le phrasé musical, la direction qu’on donne à une phrase… Tout se fait naturellement, c’est ce qui est agréable et nous donne envie de faire autre chose ensemble. Au sein de Bacchus, c’est exactement la même chose.

 Propos recueillis par Séverine Meers