Classic Academy 2021 : L’interview de Loris Douyez

Loris Douyez

Découvrez le portrait de l'accordéoniste Loris Douyez (21 ans, Arts2 Mons) qui interprétera Mogensen le 20 juin prochain avec l'OPRL.

 

Né en 1999, à Mons, Loris Douyez entre au Conservatoire Royal de Mons - Arts² en 2014, en tant que « Jeune Talent », dans la classe de Daniel Rubenstein au violon et dans celle de son père Olivier Douyez à l’accordéon. Il remporte de nombreux prix d’interprétation (Belgique, France, Italie, Tchéquie, Portugal) et un prix de composition pour sa pièce Disco-Samba. Depuis 2016, il est membre du Duo Douyez (violon-accordéon avec son père) et du Quintette Hybris (accordéons classiques). En 2016, il crée son groupe pop où il interprète des covers, ainsi que des compositions originales. Membre de l’ensemble Musiques Nouvelles, il a obtenu son Master 2 à l’accordéon en 2020 et termine cette année son Master 2 au violon avec Wibert Aerts au sein d’Arts².

Quel a été votre parcours musical ?

Je joue du violon depuis l’âge de 4 ans, et j’ai commencé l’accordéon à 9 ans avec mon père, Olivier Douyez, qui est professeur à Arts² Mons (le Conservatoire Royal de Mons). À 15 ans, j’ai réussi l’examen d’entrée pour les deux instruments afin d’intégrer le programme « Jeunes talents » au Conservatoire : ce statut m’a permis de mener parallèlement les études secondaires et les cours à Arts². Une fois diplômé du secondaire, j’étais déjà en Bachelor 3 pour mes deux instruments, et j’avais terminé les cours de solfège, harmonie et écriture. Cela a dégagé du temps pour étudier la composition dans la classe de Claude Ledoux, et l’an prochain je commencerai la direction d’orchestre dans la classe de Nicolas Krüger. J’ai obtenu en juin 2020 mon Master 2 (dernière année) à l’accordéon, et je termine le violon cette année-ci.

De quelle façon entretenez-vous votre travail de l’accordéon, depuis votre diplôme obtenu il y a un an ?

Je suivrai l’année prochaine un « post-master » de spécialisation en musique contemporaine. On y abordera le répertoire de la création, ainsi que les notations et les techniques qui lui sont spécifiques. C’est mon père qui est titulaire du cours, mais il invitera divers professeurs et interprètes européens, spécialisés dans ce répertoire. Je consacrerai le reste du temps à l’enseignement et aux concerts. 

Vous avez appris à jouer de deux instruments, et, fait plus rare, vous avez persévéré avec les deux. Comment l’expliquez-vous ?

Faisant partie d’une famille de musiciens, j’ai toujours été baigné dans les concerts, et très jeune, j’ai assisté à de nombreux concerts d’orchestre. Au premier rang, je voyais les violons... et à l’âge de trois ans, je voulais être au premier rang comme eux ! Ma nonna, ma grand-mère côté maternel, m’a acheté mon premier violon lorsque j’avais 4 ans, et j’ai commencé les cours à l’école privée de mon père, « L’Atelier musical », à Bois d’Haine.

Ensuite, j’ai eu l’occasion d’accompagner mon père dans diverses villes où il était invité comme jury de concours d’accordéon, et notamment dans la ville de Castelfidardo (Italie), qui est « la » ville de l’accordéon avec une centaine d’usines qui en fabriquent, un très grand festival, et un concours annuel en septembre. Cela m’a donné envie de commencer…

Quelle place occupent les deux instruments dans votre vie ?

L’accordéon et le violon, c’est un peu comme papa et maman : ils sont différents mais essentiels, et je donne beaucoup d’amour aux deux. Ils sont très complémentaires. Le violon est un instrument mélodique, que l’on peut jouer tout seul, mais surtout à plusieurs ; d’ailleurs j’ai un duo avec un pianiste, et c’est ce qui me permet de m’épanouir dans les grands répertoires classique et romantique, notamment. L’accordéon, lui, se suffit à lui-même ; avec sa main droite et sa main gauche, c’est un instrument complet et polyphonique (qui peut jouer plusieurs voix en même temps). D’ailleurs, on dit que Jean-Sébastien Bach est le compositeur qui a le mieux écrit pour l’accordéon !

Cela pose-t-il des problèmes techniques de passer d’un instrument à l’autre ?

Je préfère commencer par répéter le violon avant l’accordéon, plutôt que le contraire, car le violon ne nécessite aucune force. Il requiert virtuosité, légèreté, souplesse et dextérité pour la tenue de l’archet. L’accordéon, lui, pèse 16 kilos ; cela nécessite une plus grande force, même au repos, et en particulier pour la main gauche qui ouvre et ferme le soufflet (10 kilos environ à porter). Passer juste après au violon rend la main gauche trop lourde, c’est un peu délicat.

Le répertoire classique reste-t-il votre répertoire de prédilection ?

Je ne me limite pas du tout au classique, non. Je suis membre de l’ensemble Musiques Nouvelles (qui se consacre essentiellement à la création contemporaine) comme violoniste et comme accordéoniste, en soliste ou au sein de l’orchestre. En parallèle, j’ai aussi plusieurs ensembles avec lesquels je pratique des répertoires très diversifiés : un groupe pop, le Duo Douyez avec mon père qui tient une place importante dans mon parcours, le Quintette Hybris… J’ai aussi terminé troisième au plus grand concours d’accordéon au monde (le PIF, Premio Internazionale Fisarmonica), en accordéon jazz. Il faut également mentionner le Concours « Accordéons-nous.org » de Mons, créé par mon père en 2015, qui prend de plus en plus d’ampleur.

Comment est né le Duo Douyez ?

C’est un duo violon-accordéon qui est né quand j’avais 14 ans ; je m’étais inscrit à un concert « Jeunes talents » et nous avons joué une pièce ensemble, qui a eu beaucoup de succès, y compris auprès des jeunes. Notre duo compte deux albums et des concerts au Canada, en Russie et ailleurs, lors desquels nous jouons aussi bien du jazz que de la musique du monde, du tango, des musiques des Balkans…

Qu’est-ce que le Quintette Hybris ?

C’est un quintette d’accordéons classiques rassemblant des musiciens issus d’Arts² Mons. Mon père en est le premier accordéon ; nous jouons des transcriptions que j’ai moi-même effectuées et des pièces originales, toujours accessibles à un large public. C’est une façon de montrer que l’accordéon peut donner accès à tous les types de musique.

Estimez-vous que l’accordéon doit encore « se faire une place » pour être davantage reconnu ?

Oui, je pense qu’il n’est pas encore à son apogée en Belgique, quand on compare à d’autres pays ! Côté répertoire, des compositeurs s’y intéressent, comme Denis Bosse, dernièrement Jean-Luc Fafchamps, ou encore Jeroen D’Hoe dont j’ai créé l’an dernier un concerto pour accordéon avec Musiques Nouvelles.  Avec ma formation en composition et en direction d’orchestre, je peux aider à mieux faire connaitre l’accordéon : je rencontre du monde, des gens sont curieux qui veulent savoir ce qu’il est possible de faire avec cet instrument.

Vous reste-t-il du temps pour quelques hobbys ?

J’aime lire (Edgar Allan Poe, la littérature classique, les thrillers…), regarder des sites de streaming (on y trouve de nombreux documentaires, y compris musicaux, très intéressants), faire de la course à pied ou du renforcement musculaire. Je vais au concert, et j’aime vraiment être tranquillement assis chez moi et découvrir des nouveautés (disques, artistes…) dont j’essaie de m’inspirer.

Pouvez-vous nous parler de Recall, le concerto que vous allez jouer lors de la Classic Academy ?

Recall est une œuvre très spéciale, écrite en 1968 par Per Nørgård, compositeur danois. Elle est inspirée de diverses cultures, et principalement de la musique des Balkans : on y retrouve de la polyrythmie (plusieurs rythmiques différentes superposées) et des mesures asymétriques (à cinq ou à sept temps par mesure, par exemple), typiques de cette région. L’œuvre dure une douzaine de minutes et est en trois parties, sans interruption. Le premier mouvement est une sorte de souvenir d’enfance, une mélodie très calme, réminiscence populaire inspirée du folklore nordique. Le deuxième mouvement commence vraiment à bouger : dans cette danse, on sent que l’accordéon et l’orchestre sont un peu en rivalité, car les pulsations de l’orchestre et de l’accordéon ne coïncident pas, mais se mêlent, avec aussi quelques brèves envolées lyriques et plus libres de l’accordéon.

Tous ces moments de « cadences » sont écrits par le compositeur et permettent de mettre le soliste à l’honneur. Pourtant, même si l’accordéon est soliste, c’est une vraie petite œuvre symphonique, qui met bien en valeur le grand orchestre également. Enfin, le 3e mouvement, Rondino (« petit rondeau ») offre à l’accordéon une partie très technique : c’est le moment où je peux me lâcher, soutenu par l’orchestre pour renforcer le thème, et le moment le plus intéressant avec une musique vraiment inspirée des Balkans.

J’aime vraiment beaucoup ce mélange d’influences entre écriture classique, traditions des Balkans et folklore nordique : c’est une très grande richesse de pouvoir entrecroiser ainsi ces divers styles, dans une écriture très tonale et très accessible à l’écoute. Voilà pourquoi j’ai choisi cette œuvre.

D’où vous est venue l’idée d’interpréter cette œuvre ?

J’ai énormément de partitions à la maison, et je continue à faire des recherches sur internet, à découvrir des interprètes et des œuvres, pour certaines jamais enregistrées. Recall, ainsi que d’autres concertos nordiques, ont été enregistrés par le Danois Bjarke Mogensen. Recall m’a vraiment beaucoup plu, pour ce mélange d’influences qui rend la pièce universelle.

L’avez-vous jouée pour terminer votre master en 2020 ?

Oui, je l’ai jouée en récital de Master 2, mais accompagné d’un pianiste, vu le contexte sanitaire l’an passé. Ce concert avec l’OPRL sera mon premier concert avec grand orchestre, et la première fois que je pourrai jouer Recall dans sa version originale. J’ai déjà souvent joué avec de plus petits ensembles, comme Musiques Nouvelles... mais c’est bien d’avoir un orchestre de bonne taille derrière soi, car l’accordéon fait beaucoup de bruit !

Propos recueillis par Séverine Meers