L’OPRL se dote de trompettes à palettes

Intégralement financées par les Amis de l’Orchestre, ces nouvelles trompettes conçues par le facteur Weimann (Weimar) et adaptées au répertoire germanique sont utilisées pour la première fois ce 17 novembre. Présentation par François Ruelle, le chef du pupitre des trompettes qui évoque un instrument plus adapté à une conception collective du son.

 

L’OPRL vient d’acquérir trois trompettes à palettes. En quoi ces trompettes sont-elles techniquement différentes des trompettes à pistons ?

Jusqu’au début du XIXe siècle, les musiciens utilisaient des trompettes naturelles (sans pistons) sur lesquelles il était impossible de jouer toutes les notes de la gamme ; les seules notes accessibles étaient les harmoniques naturelles de l’instrument. Le défi majeur des facteurs de trompettes du XIXe siècle a été d’inventer des instruments capables de faire entendre les 12 notes de la gamme chromatique. Pour cela, l’idée fondamentale a été d’allonger la longueur de la colonne d’air à l’aide des extensions — les coulisses — qui permettent l’ajout de nouvelles notes. Deux systèmes permettent de faire dévier l’air du tuyau vers ces coulisses. D’une part, le système de pistons verticaux, inventé en 1839 par le Français Périnet, en usage en France, dans nos régions et dans les pays latins. D’autre part, le système de trompettes à palettes. Le principe est le même : le musicien fait passer l’air dans une coulisse par l’intermédiaire d’un mécanisme de rotation actionné par des palettes. Ce système s’est développé en Allemagne et dans les pays germaniques.

Quelles sont les caractéristiques sonores des trompettes à pistons et des trompettes à palettes ?

Les sonorités diffèrent. Les instruments à pistons sont plus clairs et présentent des sons bien distincts, avec une conception plus « individualiste » adaptée au répertoire et à l’écriture de la musique française, plus fragmentée, détaillée, pointilliste. La trompette à palettes opte davantage pour un son d’ensemble et une conception plus collective, avec des sons qui se marient mieux entre eux, non seulement au sein d’un pupitre de trompettes, mais avec le reste des cuivres et l’ensemble des instruments de l’orchestre. Autrement dit, les trompettes ressortent moins du lot.

Dans quel répertoire ces trompettes sont-elles les plus appropriées et pour quelle raison ?

On peut jouer normalement n’importe quel répertoire avec les deux types de trompettes ; cela dit, ce n’est pas vraiment l’idéal pour le style. Les trompettes à palettes sont parfaitement adaptées aux compositeurs germaniques qui pensent souvent l’orchestre comme un instrument unique, à l’inverse des compositeurs français qui recherchent des couleurs multiples et diversifiées afin de créer différents types d’atmosphères. Ces trompettes à palettes sont idéales dans la musique romantique et postromantique et particulièrement chez Wagner et Bruckner, deux compositeurs qui utilisent beaucoup ces trompettes dans les tutti : elles se fondent idéalement dans la masse sonore. Elles conviennent également très bien pour certaines musiques de l’Europe centrale (Liszt, Dvořák, Janáček) et la musique autrichienne légère (Johann Strauss, Von Suppé, Lehár).

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de les intégrer à l’OPRL ?

Au XXe siècle, la plupart des orchestres avaient une conception un peu unique du son, des couleurs caractéristiques et moins d’ouverture d’esprit. L’évolution s’est effectuée par l’intermédiaire des musiciens baroques, en quête permanente de l’instrument le plus adapté à un répertoire déterminé. Depuis les années 2000, le phénomène touche les orchestres symphoniques. Il n’est plus rare aujourd’hui de trouver des phalanges françaises qui jouent les compositeurs classiques sur des trompettes naturelles et le répertoire germanique sur des trompettes à palettes. À l’OPRL, la démarche s’est opérée de manière progressive. Le premier chef qui nous a parlé des trompettes à palettes a été notre Directeur musical Pascal Rophé (2006-2009), mais nous n’avions pas encore d’instruments à notre disposition pour tenter l’expérience et il fallait que l’idée fasse son chemin. À l’époque de François-Xavier Roth (2009-2010), nous avons interprété une œuvre de Haendel sur des trompettes naturelles. Cela nous a donné envie d’essayer également les trompettes à palettes pour trouver d’autres types de sonorités. De notre propre initiative, nous avons joué pour la première fois sur des trompettes à palettes (prêtées) en mai 2016 dans la Deuxième Symphonie de Schumann. Nous avons recommencé dans la Huitième de Dvořák et dans la Huitième de Bruckner. Christian Arming et Daniel Weissmann ont été séduits par le résultat sonore. L’acquisition s’est faite dans la foulée. Elle a été rendue possible grâce au soutien des Amis de l’Orchestre qui ont intégralement financé l’achat de ces instruments.

Pour des musiciens habitués à la trompette à pistons, la trompette à palettes présente-t-elle des contraintes techniques particulières ?

Elle demande un temps d’adaptation. Le mécanisme des palettes ne « répond » pas de la même manière que les pistons. La sensation au toucher est différente, surtout dans les traits rapides. Il faut dès lors travailler plus attentivement ces passages et s’adapter aux nouvelles sensations dans les doigts. Heureusement, les doigtés (le choix d’un doigt pour une note spécifique) sont les mêmes que ceux de la trompette à pistons. Autre particularité, la perce de l’instrument (la forme du tuyau dans lequel on souffle) est différente, ce qui signifie que la manière d’envoyer l’air dans la trompette varie un peu. Idéalement, il est préférable aussi d’utiliser des embouchures conçues pour les trompettes à palettes, légèrement différentes des embouchures de trompettes à pistons. Il faut également un petit temps pour s’habituer à l’intonation de l’instrument, à sa justesse. Enfin, le pupitre de trompettes de l’OPRL a dû se réunir quelques fois pour trouver un son collectif homogène.

La trompette à palettes est-elle seulement utilisée au sein de l’orchestre ?

Même si elle est particulièrement adaptée à l’orchestre, la trompette à palettes peut évidemment être utilisée dans d’autres contextes : en soliste, en musique de chambre, dans le jazz ou encore dans la variété (par exemple le répertoire Oberbayern).

Comment s’est effectué le choix du facteur ?

Nous nous sommes renseignés auprès de différents musiciens et fournisseurs et régulièrement c’est le nom du facteur Weimann (installé à Weimar, en Allemagne) qui sortait du lot. Nous avons pu tester ces trompettes il y a six mois, par l’intermédiaire du représentant parisien de Weimann — l’Atelier des cuivres —  qui nous a fait parvenir plusieurs instruments et embouchures. Les essais ont été convaincants. Nous avons commandé trois instruments. Ils sont arrivés à la mi-octobre et seront utilisés pour la première fois cette semaine, notamment dans le Concerto pour piano de Grieg et la Symphonie n°3 « Rhénane » de Schumann.

Propos recueillis par Stéphane Dado