Orgue : Jean-Luc Thellin, l'interview

Thellin

Le dimanche 23 octobre, à 14h, le Liégeois Jean-Luc Thellin fait le pari un peu fou d’interpréter l’œuvre pour orgue de Franck en une après-midi à la Salle Philharmonique ! Il évoque cette performance unique !

Comment est né ce projet hors du commun ?

En discutant avec Robert Coheur du projet d’enregistrement des transcriptions de la Symphonie et des Variations symphoniques, sur l’orgue de la Salle Philharmonique, l’idée d’un concert d’orgue Franck s’est imposée, en cette année de son bicentenaire. Mais comment choisir telle ou telle œuvre, sachant qu’elles sont toutes uniques et complémentaires. Robert m’a donc proposé de donner les 12 grandes pièces en une après-midi, un peu comme Bertrand Chamayou, qui avait joué Les Années de pèlerinage de Liszt, en 2011. D’un commun accord, j’y ai ajouté les transcriptions enregistrées à Liège.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de l’œuvre d’orgue de Franck par rapport à ses contemporains ?

Avant tout, une synthèse entre la musique française (notamment l’écriture de Saint-Saëns, avec son côté très orchestral) et la musique germanique directement héritée de l’œuvre de Bach. Beaucoup de titres de Franck sont inspirés de formes anciennes : Prélude, fugue et variation, Fantaisie, Choral… Son langage est beaucoup plus élaboré que celui de ses contemporains comme Dubois et Gigout, qui paraît simpliste en comparaison. En même temps, il se détourne de la virtuosité gratuite de sa jeunesse et de la frivolité d’un Lefébure-Wely. J’appelle Franck « la machine à moduler », en ce sens qu’il change constamment de tonalité, de couleur… Sa musique est extrêmement mobile, construite et audacieuse, usant d’accords et de dissonances qui la rendent très expressive. La première de ses Six Pièces, la Fantaisie en ut, est encore scolaire. Les idées sont là mais pas encore abouties. Avec le temps, puis sa nomination à la tête de la classe d’orgue du Conservatoire, Franck atteint sa pleine maturité et livre une série de chefs-d’œuvre qui culmine avec ses Trois Chorals de 1890.

Pourquoi avoir choisi l’orgue de la Salle Philharmonique pour enregistrer les transcriptions de la Symphonie et des Variations symphoniques ?

À l’origine, le but de ce projet était de retracer le voyage de Franck de Liège à Paris. Je voulais montrer aussi les différents types d’écriture que peuvent mettre en valeur un orgue d’église traditionnel et un orgue de salle (celui de Liège est toujours le seul fonctionnel en Belgique !). J’ai enregistré les 12 pièces pour orgue sur le très beau Cavaillé-Coll de l’église Saint-Maurice de Bécon-Courbevoie, dans la banlieue ouest de Paris. Pour les transcriptions d’œuvres orchestrales, l’orgue de la Salle Philharmonique de Liège s’imposait car son style se situe, comme les œuvres de Franck, à la croisée des styles français et germanique. C’est un orgue clair, pas trop « épais », qui permet une meilleure lisibilité polyphonique qu’un orgue Cavaillé-Coll, plus massif. De plus, on y trouve des jeux d’une grande finesse (comme la Clarinette et le Cor anglais), qui conviennent idéalement à ces transcriptions, notamment pour le mouvement central de la Symphonie, combinant mouvement lent et scherzo. Le coffret reprenant les 12 grandes pièces et les transcriptions, coproduit par l’OPRL et le label BY Classique, paraît en septembre 2022.

Que dire de l’orgue de Bécon-Courbevoie où vous avez enregistré, les grandes pièces pour orgue ?

C’est un orgue très intéressant, particulièrement adapté à ce projet, véritable trait d’union entre musique germanique et française (avec des noms de jeux en français et d’autres en allemand). À l’origine, il fut commandé à Cavaillé-Coll par le Marquis de Lambertye pour sa chapelle privée de Gerbéviller, située en Lorraine, à 40 km au sud-est de Nancy. L’orgue fut inauguré en 1865 et reçut la visite de grands organistes parisiens. Après le décès du Marquis, en 1904, l’orgue fut racheté pour l’église Saint-Maurice de Bécon, où il fut installé en 1913. Ce déménagement lui permit d’échapper au bombardement de 1914 qui ravagea la chapelle et le château de Gerbéviller. Curieusement, ce très bel orgue de 36 jeux est resté relativement méconnu jusqu’il y a peu. Classé en 1985, il a été entièrement restauré dans son état d’origine, de 2013 à 2015. C’est un instrument de très grande classe !

Propos recueillis par Éric Mairlot
 

RÉSERVER EN LIGNE