Rencontre avec George Tudorache

Troquant son archet de concertmeister contre la baguette de chef d’orchestre, le jeune musicien de l’OPRL dirige pour la première fois « son » orchestre dans un nouveau projet pédagogique : « À toutes cordes ».

Comment s’est construit ce projet qui met les instruments à cordes de l’OPRL en évidence ?

L’idée initiale revient à notre Directeur général, Daniel Weissmann, lui-même altiste, qui a souhaité un projet pédagogique mettant en valeur les différents pupitres de cordes. Il a ensuite fallu penser au répertoire. Pour ce type de séances, les œuvres doivent être courtes et variées, permettre d’exprimer des sentiments, mettre en valeur l’élégance et l’énergie des œuvres, et mettre en valeur les différents instruments. Nous avons travaillé en concertation avec Fanny Gouville, qui est Chargée de l'action culturelle et du développement pédagogique de l’Orchestre. J’ai choisi de mon côté un Divertimento de Mozart, la Suite Holberg de Grieg et les Danses roumaines de Bartók, une œuvre clé du patrimoine culturel national de mon pays. Fanny m’a proposé Summa d’Arvo Pärt, et des musiques de dessins animés comme La Panthère rose ou Le Livre de la jungle. L’ensemble forme un projet très intéressant rythmiquement, les musiques ont du groove, des structures rythmiques claires et entraînantes, avec un côté punchy qui plaira aux enfants. Marie Zinnen assurera la présentation des concerts.

De manière générale, l’activité de chef d’orchestre vous tente ?

J’ai toujours eu une passion pour ce métier ! En qualité de concertmeister, mon rôle est déjà d’assurer le relais entre les musiciens et le chef d’orchestre, ce qui m’amène à être confronté aux questions d’interprétation. Cette position privilégiée au pupitre, à côté du chef, permet d’apprendre beaucoup sur la gestique, l’énergie, la maîtrise de la balance sonore et des équilibres. J’ai finalement franchi le pas en avril 2017, lors d’un concert Mozart que j’ai dirigé à la tête de l’Orchestre Symphonique de Bucarest avec les violonistes Geneviève Laurenceau et Svetlin Roussev. J’ai bénéficié aussi, à Londres, des conseils de Simon Rattle, Bernard Haitink, Gianandrea Noseda et, à Liège, de ceux de notre directeur musical Christian Arming. J’aimerais travailler avec d’autres grands chefs pour développer une technique infaillible ! Je ne souhaite évidemment pas arrêter mon métier de concertmeister mais il me paraît important de poursuivre sur ma lancée et de me perfectionner auprès de grands chefs. Dans un second temps, j’aimerais créer mon propre orchestre de chambre, sur le territoire belge, avant de diriger les grandes œuvres du répertoire symphonique.

Vous semblez moins attiré par le répertoire contemporain…

Il ne me semble pas opportun de commencer la direction d’orchestre par la musique contemporaine. Cela aide certainement sur le plan rythmique et technique, ou pour la mise en place de belles atmosphères, mais sans parvenir, selon moi, à développer les aspects plus émotionnels ou lyriques du grand répertoire traditionnel. Il me semble dès lors fondamental de commencer ce métier par les œuvres classiques : Mozart, pour commencer, et d’aller ensuite vers des œuvres plus tardives et d’une plus grande complexité. Ce n’est qu’ainsi, étape par étape, que la gestique et le phrasé peuvent se développer de manière simultanée.

Avez-vous suivi des masterclasses de direction d’orchestre ?

En juin 2018, j’ai eu la chance de participer à une masterclasse du grand chef d’orchestre et pédagogue finlandais Jorma Panula (le professeur d’Esa-Pekka Salonen, Sakari Oramo, Jukka-Pekka Saraste, Mikko Franck ou encore Osmo Vänska). Cela m’a permis, en août, de diriger la Septième Symphonie de Dvořák avec l’Orchestre de Karlovy Vary (République tchèque).

Qu’avez-vous appris au cours de ces premières expériences de direction ?

Se mettre à la place d’un chef d’orchestre alors que l’on est instrumentiste permet de percevoir différemment les réactions de chaque musicien au pupitre. Le positionnement corporel central nous confronte immanquablement à une autre énergie sonore, plus frontale ; on perçoit aussi les choses de façon plus globale, ce qui nous donne une meilleure perception des équilibres à mettre en place.

Comment appréhendez-vous cette première expérience de chef avec « votre » l’OPRL, dont vous êtes concertmeister ?

Sincèrement, c’est un exercice qui n’est pas simple. Si demain, je devais diriger d’autres orchestres, je serais moins stressé. Je connais les musiciens de l’OPRL depuis longtemps, cela me semble délicat d’être soumis à leur jugement puisqu’il s’agit de mes collèges au quotidien. On est forcément plus exposé. Cela implique aussi d’avoir à leur proposer une vision différente de celle qu’habituellement je leur propose en ma qualité de concertmeister. D’un autre côté, je pense aussi que je serai plus soutenu et plus encouragé que nulle part ailleurs parce qu’il existe entre nous une réelle complicité et une bienveillance naturelle. J’espère surtout leur apporter ma fraîcheur et ma jeunesse.

Quels sont pour vous les enjeux de ce type de projets pédagogiques ?

Mettre en place ce type de séances scolaires me semble fondamental car cette démarche permet de renouveler en partie le public de demain. Pour un jeune chef, ces projets à effectifs réduits permettent d’avoir un meilleur contrôle de l’orchestre et une meilleure assurance, avant de passer ensuite aux grandes symphonies et à de plus grandes formations. C’est une chance unique et je suis très reconnaissant à Daniel Weissmann d’avoir pensé à moi pour cette expérience.

Propos recueillis par Séverine Meers et Stéphane Dado

LIRE L'INTERVIEW INTÉGRALE