Le Cantique des cantiques selon Philippe Pierlot

Piété et érotisme sont au cœur du concert de musique baroque allemande proposé par le Ricercar Consort, le dimanche 10 décembre, à 16h. Philippe Pierlot, son directeur artistique donne les clés de lecture du programme.

 

Pourquoi le Cantique des cantiques a-t-il à ce point inspiré les compositeurs baroques allemands du XVIIe siècle, notamment ceux qui figurent au programme de votre concert ?

Il faut très certainement voir dans cette vogue une influence de l’Italie où le Cantique des cantiques fut régulièrement mis en musique, entre autres par Grandi et Monteverdi. Cette musique italienne était présente dans les bibliothèques des églises allemandes et a influencé les compositeurs germaniques. Il faut dire aussi que le Cantique se prête bien à la musique baroque. Les sentiments et les affects y sont exacerbés. Cela donne des œuvres au caractère émotionnel puissant. Ces sentiments sublimés m’ont donné envie de concevoir ce programme.

Les Allemands ont-ils mis en musique le Cantique des cantiques de la même manière que les compositeurs italiens ?

C’est très différent. Les musiciens allemands ont transposé le texte. Sous leur plume, les conversations amoureuses du Cantique se transforment en un dialogue entre le fidèle chrétien et le Christ. Ce qui est très surprenant, c’est que c’est le courant piétiste - ndlr : mouvement protestant fondé vers 1670 par Philipp Jacob Spener qui vise à une plus grande piété et simplicité dans la vie dans la vie du croyant - qui fut le principal propagateur de ce texte. C’est une chose pour le moins paradoxale car ce courant a toujours transmis des idées simples et pures et se battait contre l’opulence et la sensualité de la musique. Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à comprendre cette contradiction.

Comment ces différents compositeurs évoquent-ils l’amour ? Ont-ils recours à des figures rhétoriques ou à des procédés d’écriture particuliers ?

Pour moi, ce sont moins les figures de style que la charge émotionnelle qui créent le lien entre tous ces compositeurs. Bien sûr, ils utilisent des figures rhétoriques pour mettre en valeur des mots clés du texte. Mais ce qui est bien plus marquant, c’est le caractère mélodique exacerbé de ces musiques et un travail harmonique beaucoup plus développé que dans d’autres types de compositions. Si l’on prend une œuvre comme Mein Freund ist mein de Johann Christoph Bach, ce sont les changements harmoniques qui donnent cette passion intense et brûlante à la musique, bien plus que les figures rhétoriques.

Selon quelle logique avez-vous construit ce programme ?

J’ai voulu commencer le concert par une œuvre de Schütz qui est le père de toute cette musique baroque allemande. Il fait aussi le lien avec l’Italie où il a étudié dans sa jeunesse (à Venise). Ensuite, j’ai choisi des compositeurs qui se fréquentaient dans les villes de l’Allemagne du Nord et qui s’appréciaient.

Les pièces instrumentales qui traversent le programme sont-elles liées au thème ?

Pas particulièrement. Le seul lien avec le Cantique des Cantiques s’effectue à travers la Sérénade « du veilleur de nuit » de Biber. C’est une pièce essentiellement instrumentale dans laquelle intervient la voix d’un veilleur de nuit chargé d’annoncer aux habitants de la ville l’heure du coucher. Je trouvais qu’il y avait un lien entre ce thème et le texte « In lectulo meo » du Cantique qui évoque précisément un veilleur de nuit annonçant les heures de la journée… On sait qu’à la création de l’œuvre, cette partie vocale fut interprétée par le contrebassiste car c’est dans la partition de contrebasse que figure la ligne de chant. La Paduana de Becker qui ouvre le concert est une simple danse, une pavane, sans lien avec le thème. Dans l’esprit de l’époque, j’ai détourné cet esprit chorégraphique au profit d’une lecture plus religieuse : la pièce prend alors l’allure d’une Sinfonia introductive. La volonté de varier l’instrumentation m’a également incité à ajouter une Sonate à deux violes et basse continue de Kühnel.

Selon quels paramètres avez-vous choisi les deux voix solistes du concert ?

En fait, ils font partie de la « famille". Matthias Vieweg est la basse avec laquelle je réalise depuis des années les cantates de Bach et le répertoire allemand. Quant à Hannah Morrison, qui est d’origine écossaise, cela fait maintenant un an qu’elle travaille régulièrement à mes côtés. J'apprécie chez eux le naturel et la sincérité de leur engagement.

Propos recueillis par Stéphane Dado