Hristina Fartchanova : l'interview intégrale

Chef du pupitre des contrebasses de l'OPRL, Hristina Fartchanova dit tout sur le concert NoEsTango! du mardi 16 janvier à 19h dans le cadre des "Happy Hour!".

 

Comment est née votre passion pour le tango ?

Cela a commencé par des cours de danse, il y a six ans. Cela m’a très vite enthousiasmée, c’est devenu une passion ; je vais très souvent danser à Liège, Bruxelles, Cologne (j’adore danser en Allemagne)… J’aime varier les salles et les danseurs : cela permet de découvrir différentes écoles.

J’ai commencé par suivre des cours à Liège, à l’école de danse la Mi’Lune, pendant un peu plus de trois ans. Cette école a été créée par un passionné de tango,  qui donne également des cours. Je ne suis plus de cours là-bas mais j’y retourne de temps en temps pour danser ou pour suivre des masterclasses.

Ensuite, il y a eu une opportunité musicale, grâce à la violoniste Shiho Ono, qui m’a demandé de jouer dans le cadre de son examen final de musique de chambre au Conservatoire Royal de Liège : elle y jouait quelques pièces de Piazzolla et avait besoin d’être entourée de plusieurs musiciens pour ce répertoire de tango. L’examen s’est très bien passé, on s’est beaucoup amusés, et de là est venue l’envie de continuer. Nous avons donc créé un groupe avec Shiho Ono, Ville Hiltula au bandonéon, et le pianiste Lionel Polis, remplacé entre-temps par Anke Steenbeke (à l’origine, il y avait également une guitare et une voix). Depuis 2014, nous développons ce projet et cherchons des endroits pour jouer, en concert, ou en live pour accompagner des soirées de danse milonga.

Jouez-vous surtout pour  accompagner des prestations dansées, ou en configuration de concert comme pour ce « Happy Hour ! » ?

Jusqu’à présent, un peu plus pour la danse, mais il nous arrive souvent de proposer un « set » de concert avant que la danse ne commence. Les danseurs apprécient, car ils peuvent nous écouter en dehors de leur pratique, et le répertoire est aussi un peu différent. Ici, pour le « Happy Hour ! », nous jouerons le répertoire de concert.

En quoi le répertoire est-il différent ?

Dans les salles où s’organisent des milongas, on danse le tango argentin, le « tango social », c’est-à-dire essentiellement les vieux tangos des années 1930 à 1950, mais pas les pièces plus modernes comme la musique que Piazzolla développe dès les années 1960 avec son Quintette Tango Nuevo, qui se danse beaucoup moins. En concert, nous jouons surtout des pièces de Piazzolla, ou des arrangements de tangos anciens dans des versions plus modernes, ainsi que des tangos contemporains.

Est-ce que votre pratique de la « danse tango » vous aide en tant qu’interprète de la « musique tango » ?

Oui, car je sais ce que les danseurs attendent : c’est particulièrement vrai pour la contrebasse, qui marque les compás (les temps forts), que les danseurs ont besoin de bien entendre pour pouvoir être en rythme. Et inversement, le fait de jouer la musique de tango m’aide aussi pour la pratique de la danse…

Y a-t-il des tangos lents et rapides ?

Oui, tant en musique qu’en danse. En danse, le tango est constitué de séquences, d’enchaînements de pas. On utilise différents pas, selon la vitesse de la musique : si elle est plus lente, la danseuse peut faire plus de mouvements décoratifs, et pendant les variations plus rapides, les couples peuvent faire plus de tours… On peut interpréter la musique par notre façon de danser, même si les pas sont, à la base, les mêmes.

La technique de contrebasse pour le tango a-t-elle des spécificités ?

Il y a des passages avec archet et des passages en pizzicato, mais surtout, il y a beaucoup d’effets à produire avec l’archet, et il y a aussi une culture de l’interprétation de cette musique qui est implicite, et très différente du jeu symphonique classique. Par exemple, toutes les notes doivent être très courtes et très claires, « au talon » comme on dit, même si ce n’est pas écrit sur la partition. Avec Ville Hiltula, qui a étudié le tango à la haute école Codarts de Rotterdam, nous avons la chance de bénéficier des conseils d’un excellent musicien, très complet dans sa maitrise du tango et des styles propres à chaque compositeur. Je regarde aussi des vidéos sur YouTube pour observer et imiter les effets produits par les anciens groupes, car il y a beaucoup d’effets de percussions à produire avec l’archet sur la touche, des bruitages, des glissandos, qui sont parfois écrits, parfois pas.

Comment votre pratique du tango à la contrebasse interagit-elle avec votre métier de musicienne d’orchestre ?

Pour jouer la musique classique, le tango ne m’apporte pas tellement ; il y a trop d’effets particuliers dans l’interprétation, qui ne sont pas transposables au répertoire d’orchestre.

Par contre, d’un côté comme de l’autre, je retrouve le fait de devoir prendre sa place, assumer son rôle, et les deux se nourrissent mutuellement. La contrebasse est un instrument métrique, et elle assied la base de l’harmonie. Quand le tempo change, c’est à moi de l’installer, de rester très rythmique, et mon poste à l’orchestre est évidemment d’une grande expérience pour garder le rythme. Si dans NoEsTango! je dois lancer un accélérando (avec le piano, qui joue souvent la même chose que moi à la main gauche), emmener tout le monde, cela nécessite de m’affirmer, de fédérer. Une chose qui  est finalement nécessaire dans mes deux rôles, y compris comme cheffe de pupitre à l’OPRL. De ce point de vue, ma pratique du tango m’a donné de l’assurance.

Propos recueillis par Séverine Meers