Grisi parle de sa nouvelle création : "Adventures"

Après Ali Baba et Le Livre de la jungle, le jeune compositeur en résidence de l'OPRL évoque son nouveau concerto pour cor, qui sera créé par Nico De Marchi, le 2 février.

 

Votre nouvelle composition pour l’OPRL, dans le cadre de votre résidence, est un concerto pour cor. Quel est son titre, et comment pourriez-vous le décrire ?

Je l’ai intitulé Adventures, un titre choisi pour son côté mystérieux. Partir à l’aventure, dans cette composition, c’est laisser place à un ensemble d’imprévus musicaux et de découvertes sonores. Il s’articule en quatre mouvements : un mouvement d’ouverture particulièrement libre, et trois mouvements structurés, plus enjoués. Le concerto s’ouvre sur un mouvement lent dont les harmonies font référence à la musique impressionniste de Debussy ou Ravel, laissant l’opportunité à chacun de se préparer pour jouer le mouvement suivant. Le second mouvement se nomme « Romantically Epic » et est composé sous la forme classique du rondo (une alternance de couplets et de refrains), dont le refrain est à chaque fois orchestré différemment. Le troisième mouvement est un scherzo basé sur un thème unique, travaillé et modifié pour apparaître là où on ne s’y attend pas. Pour terminer, le finale est un morceau flamboyant qui devrait mettre le soliste, Nico De Marchi, encore plus en valeur.

Peut-on s’attendre à un concerto au sens classique du terme, c’est-à-dire une œuvre de virtuosité mettant en évidence le soliste aux côtés de l’orchestre ? 

Oui, tout à fait ; l’objectif de l’œuvre est clairement de valoriser cet instrument qui fait partie de ceux que je préfère. Le cor sera présenté comme un instrument tantôt calme et lyrique, tantôt rapide et virtuose, entouré d’un orchestre dont les couleurs et les traits feront résonance au soliste. L’écriture d’un concerto pour cor fait partie de mes rêves de jeunesse ! Je suis très heureux qu’il se concrétise dans le cadre de cette résidence. La composition s’est réalisée en étroite collaboration avec le soliste. Grâce à Nico De Marchi, les lignes du cor sont jouables à la limite de la faisabilité pour l’instrument, ce qui n’est pas forcément évident à composer lorsque l’on écrit pour un instrument que l’on ne pratique pas soi-même.

En quoi le cor vous fascine-t-il tout particulièrement ?

Tout d’abord, par sa sonorité très riche. Le cor permet de refléter une multitude d’émotions : il peut faire peur, refléter l’héroïsme, mais aussi être très lyrique, émouvant… Ensuite, sa tessiture est particulièrement large : il peut aller du très grave au très aigu, où il rejoint presque les trompettes.

Y a-t-il des œuvres pour cor qui vous tiennent spécialement à cœur ?

Il y a de nombreuses œuvres dans lesquelles je trouve que le rôle du cor ajoute une couleur particulière ; pas seulement des concertos, mais aussi des œuvres pour orchestre. C’est vrai, par exemple, dans des musiques de films (dans Star Wars, le cor est omniprésent), où dans la musique de Mahler, où le cor fait entendre ses multiples facettes expressives. Menaçant ou lyrique, même caché dans l’orchestre, il ajoute imperceptiblement une texture et une couleur propres, une forme de brillance. Quand j’écris pour l’orchestre, j’en mettrais partout si je pouvais ! Mais cela rendrait la musique un peu lisse….

Est-ce que cette commande de l’OPRL est la conséquence de votre passion pour cet instrument ?

Non, c’est une coïncidence ! L’idée est venue de Nico De Marchi lui-même, qui a apprécié ma musique. Il est allé voir Daniel Weissmann pour lui proposer cette idée, et cela a certainement contribué à faire naître le projet d’une résidence plus globale à l’OPRL. Mais peut-être que cette coïncidence n’est pas tout à fait le fruit du hasard : il y a environ huit ans, j’ai composé une œuvre pour l’European Contemporary Orchestra (Mescalined Faun) dans laquelle se trouvaient pas mal de passages pour le cor, et le corniste de cet orchestre était déjà venu me suggérer d’écrire un concerto pour cor… Ma passion doit sans doute se ressentir dans mon écriture !  

Comment se sont passés votre travail de composition et vos échanges avec le soliste sur les aspects techniques liés au cor ?

Dans un premier temps, je me suis énormément documenté sur la technique du cor, notamment en lisant des traités. Ayant moi-même étudié le trombone, cela m’a aussi aidé, car les questions d’interprétation liées aux harmoniques sont assez similaires. J’ai ensuite envoyé par email, à Nico De Marchi, des partitions et des fichiers « midi », qui donnent une idée sonore, informatisée, du résultat ; et nous avons échangé sur cette base. Ses suggestions et ses remarques m’ont beaucoup enrichi. Elles portaient sur la technique de cor, mais aussi parfois sur la structure : il m’a suggéré, ici et là, de faire plus long, d’inclure un thème… Nous échangions ainsi jusqu’à obtenir une satisfaction mutuelle. C’est un véritable enseignement qui me sera utile pour le futur.

Quel est l'effectif de l'orchestre ?

L'orchestre est constitué des cinq pupitres habituels de cordes, ainsi que de deux flûtes, un hautbois, une clarinette, un basson, deux cors, un trombone, une trompette, un tuba, un célesta, une harpe, et deux percussionnistes. C’est un effectif qui permet beaucoup de liberté, offre pas mal de possibilités de couleurs (je dispose de tous les vents et de tous les cuivres), sans être trop chargé et risquer de couvrir le soliste.

Vous évoquiez les influences de Debussy et Ravel dans les harmonies du premier mouvement ; est-ce que l’univers impressionniste définit l’ensemble de l’œuvre ?

Non, ce sont plutôt de petites éclaircies par endroits ; l’ensemble de l’œuvre est plutôt de caractère lyrique et romantique, mais l’un n’empêche pas l’autre… L’unité de l’œuvre, elle, est surtout construite sur les grandes lignes thématiques, qui sont liées les unes aux autres.

Le titre de l’œuvre, Adventures, n’est pas sans rappeler le titre de votre concerto pour percussions, créé par l’OPRL en 2018 : Excursions… Les deux concertos sont-ils nés des mêmes images dans votre esprit ?

Pour Excursions, je m’étais inspiré d’un ensemble d’histoires que je m’étais personnellement inventées et qui ont nourri mon imagination musicale. Dans le cas d’Adventures, je me suis plutôt imprégné de nombreuses musiques : j’ai écouté sur YouTube des musiques très variées et laissé s’enchainer les suggestions. Je cherchais des musiques de films, des musiques classiques, du Debussy… et YouTube me proposait des transitions. Après ce travail d’imprégnation, j’ai laissé cela reposer pendant une semaine ou deux, puis je me suis mis à écrire. Mais des influences sont restées, inconsciemment.

Votre concerto est au programme du concert « Métamorphoses » du 2 février, aux côtés d’œuvres de Richard Strauss et Korngold. Ces compositeurs vous parlent-ils ?

Oui, on peut même parler d’un véritable fil conducteur. La musique de Richard Strauss a beaucoup influencé le cinéma ; le lien avec Korngold est donc logique. Et mes liens avec les musiques de John Williams ou Mahler sont aussi un écho à ces pièces ; je suis très actif dans les deux sphères musicales, la musique de cinéma et la musique de concert… elles influencent toutes deux mon écriture.

Aimez-vous écrire dans le genre concertant ?

Oui ; c’est une autre façon d’écrire, qui permet de mettre une personne en avant, de créer des jeux entre l’orchestre et le soliste… Cela permet d’étudier en profondeur un instrument et d’adapter son travail, selon ses couleurs, ses possibilités. Avec des percussions, la question du rythme est omniprésente, même si certains instruments à percussions sont aussi mélodiques. Les conséquences techniques sont immédiates. Avec le cor, les questions se sont posées différemment.

Le public de l’OPRL a déjà pu découvrir plusieurs de vos œuvres, et notamment deux musiques écrites pour L’Orchestre à la portée des enfants (Le Livre de la jungle et Ali Baba et les quarante voleurs) dans lesquelles la musique de films n’est jamais loin. Qu’en est-il pour ce concerto Adventures ?

Ce sera le cas aussi : il est bien clair que ma musique porte cette signature de « musique de films », et cela n’est pas antinomique puisque la musique de films est née de la musique classique… Mon style de composition est né de ces petits moments musicaux presque cinématographiques, intégrés dans des formes classiques ; je ne scinde pas mes pratiques de composition. Les contraintes formelles sont différentes, mais mon style reste le même.

Propos recueillis par Séverine Meers
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