Music Factory : Rencontre avec Pierre Solot

Pierre Solot

Quel défi constitue la présentation d’une série comme Music Factory ?

Le premier défi est lié au changement de la formule. Ce n’est plus le chef d’orchestre qui présente les œuvres, je suis désormais celui qui explique la musique au public. Et c’est au fond le travail de ma vie : c’est jouer le rôle d’un passeur pour aller chercher les vibrations les plus secrètes de la musique. Il me semble essentiel que la musique puisse être entourée de mots, qu’elle soit soutenue par la parole pour pénétrer au cœur de la sensibilité des gens. Si on ne laisse pas la place à la parole, on soumet une société à une forme d’appauvrissement culturel. Et c’est ce défi de la parole qui est au cœur des Music Factory. Je vais me plonger dans les partitions au programme pour tenter d’identifier tel ou tel procédé utilisé par le compositeur, tel secret de fabrication, tel assemblage d’instruments qui ne se perçoit pas en temps normal dans un flux orchestral continu. Je suis celui qui met en évidence les procédés secrets pour les rendre plus lisibles et sensibles auprès de l’auditeur.

Quel est le ton le plus approprié pour s’adresser aux jeunes publics ?

Je pense qu’il n’y a pas de manière spécifique de parler aux jeunes publics. Il faut s’adresser à eux comme on s’adresse à un unique interlocuteur dans le cadre d’un dialogue intime : en fonction de leurs réactions, on adapte les contours de son discours. C’est pour cette raison que je ne viendrai pas avec un texte tout fait, je forgerai mes mots au fur et à mesure de la séance. Dans cette forme de dialogue, il est impératif de raconter des histoires car il y a une forme de voyeurisme musical chez les spectateurs. Il est donc important de leur parler avec sincérité, en abordant ouvertement les coulisses de la création, même si celles-ci ne sont pas toujours roses.

Dans quel esprit allez-vous concevoir les séances de cette saison ? Allez-vous faire évoluer les Music Factory ?

Difficile de répondre maintenant. Je vais commencer par m’approprier le concept, le découvrir, sans ignorer pour autant ce qui s’est fait jusqu’à aujourd’hui. La première me permettra de déterminer comment je ferai évoluer les choses ou pas. Mais j’envisage cela plutôt comme un passage à témoin qu’une évolution drastique... Mon idée n’est pas d’imposer d’emblée le modèle préconçu qui est le mien.

Qui effectue désormais le choix des musiques et selon quels critères ?

L’OPRL me laisse carte blanche pour le choix des œuvres. J’ai donc une véritable liberté y compris dans la séance « I like to be in America » (initialement prévue en 2020), où j’ai pu modifier la programmation initiale en recentrant le propos sur les États-Unis alors qu’il était question au départ d’explorer toutes les Amériques. La sélection des pièces prend en compte le nécessaire équilibre entre les genres musicaux, le ton, l’ambiance. La première et la dernière pièce sont forcément plus dans le drame ou l’énergie. À titre d’exemple, le Music Factory « Diaboliques ! » du 27 octobre, commencera par la célèbre Danse macabre de Saint-Saëns, de quoi plonger directement dans une nuit de sabbat infernale grâce à un mouvement rythmique très dynamique, animé par Méphistophélès et ses comparses. Le propos est très narratif et accrocheur pour démarrer un concert. Surtout que l’on sera à l’approche d’Halloween…

Outre la Danse macabre que retrouvera-t-on encore dans cette première séance ?

On aura par exemple la majestueuse ouverture du Vaisseau fantôme de Wagner qui par son gigantisme et sa puissance orchestrale donne à entendre toute l’énergie nécessaire pour tirer un navire du fond des mers. Je suis content aussi de proposer des œuvres moins connues, comme la Symphonie n° 2 « Azrael » du Tchèque Josef Suk, qui, en plein contexte de deuil (il vient de perdre tour à tour sa femme et son beau-père, le compositeur Dvořák) compose une œuvre satanique et sans le moindre espoir pour sublimer son traumatisme. On entendra encore Central Park in the Dark de Charles Ives, une partition moins narrative que d’ambiance où le compositeur, par l’usage de cordes divisées, de dissonances prononcées, crée une atmosphère sombre et angoissante.  

Les compositeurs ont-ils des trucs pour décrire la notion du mal en musique ?

La plupart emploient différentes techniques. J’en aborderai quelques-unes. Je montrerai par exemple que l’intervalle de quarte augmentée (le triton), très tendu, évoque le diable ; on l’a même surnommé le « diabolus in musica ». Les grands écarts de notes, les étirements entre le grave et l’aigu sont aussi liés à l’imaginaire maléfique. On verra encore que le violon est fréquemment associé au diable, le personnage de Paganini y a sans doute contribué tant sa virtuosité extrême paraissait démoniaque. Les compositeurs utilisent aussi des tourbillons de danses qui mènent par leur course à l’abîme, au délire, au mal, au péché, à la mort (comme dans l’histoire de Faust). Il y a enfin la question des battements de cœur qui s’accélèrent et qui sont liés à la frénésie et à la peur. Les compositeurs viennois du XIXe ont expérimenté ce procédé ce que l’on découvrira grâce à la formidable Danse diabolique de Josef Hellmesberger II.

Propos recueillis par Stéphane Dado

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