« Mahler est notre eldorado symphonique ! »

Alexandre Bloch

Rencontre avec Alexandre Bloch, qui poursuit son cycle Mahler aux côtés de l'Orchestre National de Lille avec la 7e Symphonie. Il en parle en prélude à son concert à Liège, le jeudi 24 octobre.

Comment l’Orchestre National de Lille a-t-il évolué depuis votre arrivée en 2016 ?

Chaque être humain étant différent, chaque chef l’est aussi ; il a en lui une idée précise du son qu’il souhaite développer. Pour ma part, depuis ma nomination, je tente de développer ma propre idée sonore en programmant avant tout Brahms (pour la densité), Stravinsky (pour la précision), Richard Strauss (pour l’ampleur du son), Haydn (pour la spontanéité des musiciens) et Ravel (pour développer le son français). C’est la conjonction de ce travail qui permettra d’arriver au résultat recherché.

Pourquoi avoir programmé une intégrale Mahler avec l’ONL ?

D’abord parce que cela fait partie du répertoire d’un orchestre de manière générale. Ensuite, il se fait que l’association Lille 3000 nous a demandé d’imaginer un grand cycle symphonique autour du thème de l’Eldorado. Or Gustav Mahler est notre « eldorado symphonique » ! Il n’y a rien de plus fort en art que l’émotion et, en musique, Mahler est le roi des émotions. Il nous aide à mieux comprendre tout ce que nous ressentons et à devenir de meilleurs citoyens. C’est un compositeur que j’adore parce qu’il établit notamment une relation très forte avec le public.

Techniquement, Mahler aide-t-il un orchestre à progresser ?

Ses symphonies exigent une grande rigueur instrumentale. En même temps, elles mettent en évidence chaque pupitre et chaque individualité de l’Orchestre. Cela permet de donner des concerts hauts en couleur pour mieux toucher le public. Dans ce cycle Mahler, j’ai programmé beaucoup de répétitions partielles, notamment avec la famille des cordes. Il m’arrive même de ne travailler qu’avec les premiers ou les seconds violons pour aller plus loin dans le détail. Ces répétitions partielles favorisent une plus grande proximité dans le travail. J’ai la chance aussi de disposer de nouveaux chefs d’attaque (chefs de pupitre) qui m’aident à trouver les bases stylistiques et la signature sonore souhaitées pour l’Orchestre.

Pourquoi avoir choisi de présenter ce cycle Mahler dans l’ordre chronologique ?

L’ONL n’a jamais joué toutes les Symphonies de Mahler. Les interpréter dans l’ordre permet une progression par paliers. J’ai projeté cette intégrale sur deux saisons et je constate que le travail commence à porter ses fruits à partir des 4e et 5e Symphonies car le langage y est plus dense et plus complexe. Pour l’ouverture de la saison 2019-2020, j’ai programmé la 6e Symphonie. Mahler disait qu’on ne peut la comprendre que si l’on a dirigé les cinq premières. Ce qui est tout à fait vrai !

Cette exécution dans l’ordre profite-t-elle aussi au public ?

Parfaitement, car elle lui permet de comprendre l’évolution du travail de Mahler et son art de l’autocitation d’une symphonie à l’autre. Mahler compose ses symphonies l’été, en vacances. Le reste du temps, il mène une carrière de chef d’orchestre avec un rythme de travail et un emploi du temps complètement démentiels qu’aucun chef aujourd’hui, même un Gergiev, ne pourrait assumer. Je montre au public quelles sont les œuvres que Mahler dirigea en concert les mois qui précédèrent la composition d’une symphonie, et je lui donne à entendre comment ces œuvres eurent une réelle incidence sur ses propres compositions. Une démarche très éclairante !

Avec le public, vous ne vous contentez pas d’être un « simple » chef d’orchestre, vous aimez aussi jouer le rôle de médiateur ?

Avant chaque concert, j’enregistre des petites capsules intitulées « La minute du chef » qui circulent sur YouTube et sur les réseaux sociaux. Elles donnent des clés d’écoute aussi bien à l’auditeur qui découvre Mahler qu’au mélomane qui le connaît déjà. Comme j’aime discuter avec le public, je participe régulièrement à des bords de scène qui rassemblent chaque fois près de 300 personnes à l’issue des concerts. Ces échanges sont très fructueux.

La 7e Symphonie de Mahler se distingue des autres par la présence de deux Nachtmusik (« musique nocturne ») qui encadrent le Scherzo central. Qu’est-ce qui différencie ces deux mouvements ?

La première Nachtmusik est très pastorale et lyrique, elle joue sur l’alternance entre do majeur et do mineur. La seconde Nachtmusik me fait penser à la scène du Balcon de Roméo et Juliette. Elle sonne comme de la musique de chambre et évoque un quatuor à cordes de Schumann, y compris dans ses harmonies. C’est un mouvement très intimiste qui constitue un univers à part entière par sa diversité et son emploi d’instruments spécifiques comme la guitare ou la mandoline, instrument que Mahler reprendra dans sa 8e Symphonie ou dans Le Chant de la Terre et qui inspirera à Berg et Webern certaines de leurs œuvres.

Quelle perception a-t-on généralement de la 7e Symphonie ?

C’est une œuvre qui est souvent mal comprise. Beaucoup la trouvent noire et négative, notamment à cause de son Scherzo très ombrageux, alors que c’était l’une des préférées de Mahler. Pour bien la comprendre, il faut l’imaginer couplée à la 6e Symphonie, la « Tragique ». Elle apparaît alors sous des dehors plus joyeux. Elle est même connectée, par certains aspects, au monde de la nature. Le mouvement final semble dissocié du reste de l’œuvre, ce n’et pas celui qui est le mieux compris. Pourtant, c’est lui qui donne à l’œuvre cette touche positive et qui prépare ce cheminement de l’ombre vers la lumière.

Propos recueillis par Stéphane Dado
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