Mahler 9 : l'interview de Christian Arming

Gustav Mahler

Le directeur musical de l'OPRL dirige sa symphonie préférée de Mahler, la Neuvième, le 20 janvier prochain aux Concerts du chef. Il évoque les qualités de cette partition exceptionnelle.

Y a-t-il un programme spécifique dans la Neuvième Symphonie de Mahler ?

L’idée générale qui plane sur chaque mouvement est celle d’un adieu à la vie. Pour être plus précis, il s’agit même de l’adieu de l’âme à la vie terrestre avant son départ vers un monde meilleur. C’est une thématique typique du symbolisme viennois que l’on peut retrouver dans la peinture de Klimt à la même époque. Le mot « Lebewohl », qui fait référence à l’idée de l’adieu, est mentionné sur la première page du manuscrit. L’idée est renforcée par le premier thème que Mahler fait entendre et qui est, à une note près, celui qui ouvre la Sonate « Les Adieux » de Beethoven. On peut même considérer que ce thème est un emprunt à la mélodie du choral plus ancien encore, « Reste avec moi, Seigneur, lorsque je m’en irai », choral dans lequel, là encore, le voyage au pays de la mort est évoqué…

Le grand chef d’orchestre mahlérien Willem Mengelberg (1871-1951) a décrit certains de ces mouvements…

Les petites phrases que Mengelberg écrivit sur la symphonie laissent toutes transparaître cette idée de finitude : le 2e mouvement est une « danse des morts qui invite l’auditeur à rejoindre sa tombe car le destin de l’homme est de mourir ».  Il dit du 3e mouvement : « Tout notre labeur sur Terre est une tentative vaine car, au final, nous ne pouvons échapper à la mort ». Et pour l’Adagio conclusif : « L’âme chante le dernier adieu ».

Quelles sont les nouveautés orchestrales de cette Neuvième au regard des huit premières symphonies ?

La Neuvième est certainement ma symphonie préférée de Mahler ! Elle est poignante et dense psychologiquement, tant pour les interprètes que pour le public. Elle me fascine par ses innombrables trouvailles qui rompent avec les techniques du passé, à commencer par le fait d’ouvrir et de clôturer l’œuvre avec un mouvement lent. Mahler abandonne également les grands thèmes mélodiques si typiques de ses œuvres précédentes, au profit de motifs plus courts. Il ouvre ainsi la voie aux structures mélodiques fragmentées d’un Anton Webern. Il rompt aussi avec l’architecture classique de la forme-sonate : il se contente d’un seul thème (monothématisme) au lieu de deux dans un mouvement, il renverse la valeur hiérarchique du premier et du second thème dans un autre… Sans compter que Mahler imagine aussi quelques extraordinaires voyages harmoniques où les repères de tonalités deviennent flous (les premières mesures de la partition sont en ré majeur, les dernières en ré bémol majeur, ce qui signifie une rupture totale avec les conventions !), où le chromatisme est totalement exacerbé. Tout cela est d’une modernité confondante. À la création de l’œuvre, le public fut complètement dérouté par ces innovations, à l’exception de Schoenberg et Berg qui ont mesuré et apprécié cette rupture avec les structures traditionnelles et conservatrices du passé.

On dit souvent de cette œuvre qu’elle est exigeante techniquement. Partagez-vous cet avis ?

Elle présente différents degrés de difficulté. D’un point de vue technique, la Neuvième est redoutable pour les cordes (tout comme la Septième Symphonie). Elle représente un véritable défi pour les musiciens. Par ailleurs, il est très difficile d’obtenir l’atmosphère que requiert la partition. L’œuvre est longue, il faut pouvoir garder la tension pendant plus de 85 minutes. C’est un challenge tant pour les musiciens que le chef.

Quelles sont vos versions préférées ?

Je ne l’écoute plus tellement au disque. Je recommande cependant l’excellente version de Bruno Walter qui était un ami proche de Mahler et savait exactement ce que souhaitait le compositeur dans cette musique. J’aime aussi le live d’Abbado à Lucerne. Le chef est déjà fort malade, ce qui explique sans doute que son interprétation se rapproche étroitement de l’essence même de l’œuvre. Enfin, je reste fasciné par Leonard Bernstein qui a une vision très personnelle et plus libre de la partition, absolument géniale.

Propos recueillis par Stéphane Dado

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