Alexandre Damnianovitch : L'interview

Music Factory - OPRL

Le chef d'orchestre et compositeur Alexandre Damnianovitch est le nouveau visage des Music Factory. À l'occasion de son premier concert, le mercredi 4 octobre, il évoque sa vision de la série.

 

Alexandre Damnianovitch, vous reprenez la direction et la présentation des séances « Music Factory », incarnées depuis 2013 par Fayçal Karoui. Comment souhaitez-vous faire évoluer l’esprit des Music Factory ?


« Évolution » suppose – dans ce contexte – comparaison avec ce qui s’est fait avant. Or, je n’ai assisté qu’à un seul concert de Music Factory, où j’ai pu admirer la qualité de cet excellent orchestre et la musicalité remarquable de Fayçal Karoui. Donc je ne connais pas en détail tout ce qui s’est fait avant… et c’est tant mieux, car je vais pouvoir évoluer dans la liberté, sans le poids du passé, avec ce qui caractérise ma personnalité, c'est-à-dire avec le regard d’un compositeur. Un compositeur est sans cesse préoccupé par des questions de fabrication : qu’est-ce que je veux construire, quel matériau j’utilise pour cela, quel matériau je rejette… Pour les Music Factory, j’emprunte le chemin inverse –, je pars de l’œuvre finie et je remonte à la source, j’essaie de me mettre dans la peau du compositeur au moment de la fabrication et de comprendre ses choix. C’est bien cela Music Factory – « fabrication de la musique », n’est-ce pas ? Mais, évidemment, tout cela sans « se prendre la tête », avec légèreté et sourire, dans la bonne humeur.

En tant que chef d’orchestre, compositeur et conférencier, vous disposez d’une solide expérience de contact avec le public. Pourriez-vous détailler les animations et séances didactiques que vous avez menées jusqu’ici ?

J’ai accompli des séances didactiques en tant que pianiste, en tant que chef de chœur, en tant que compositeur et, naturellement, en tant que chef d’orchestre. J’ai même fait une production complètement décalée, intitulée « Une leçon de musique », que j’ai moi-même écrite, mise en scène et dont j’ai joué le rôle principal, avec à mes côtés mon ami le pianiste François-René Duchâble. D’ailleurs, cette séquence est passée sur TF1, et on peut en voir un extrait sur mon site www.damnianovitch.com, à la rubrique « Vidéos ».

De quelle manière ont été choisis les quatre thèmes de cette nouvelle saison ?

Les thèmes ont été choisis en collaboration avec la direction de l’OPRL. « T’as d’beaux yeux, tu sais » (Don Juan) et « Femmes fatales » (Salomé) viennent de moi, « Alors, on danse » et « We are the Champions » est une suggestion de l’OPRL.

Comment procédez-vous pour élaborer le contenu musical de vos séances ?

Là encore, c’est le fruit d’une collaboration, chacun apporte sa pierre à l’édifice. On construit autour d’une œuvre emblématique (Don Juan, Salomé, West Side Story …) et on ajoute d’autres pièces qui permettent de construire une histoire cohérente. Cette dernière donnée est très importante : il ne s’agit pas d’aligner des œuvres l’une après l’autre sans aucun lien entre elles, mais de construire une véritable histoire, un récit logique ... Le public est appelé à prendre du plaisir à écouter la musique, mais aussi à apprendre des choses nouvelles. On cultive les oreilles, mais on cultive aussi ce qu’il y a entre les oreilles.

Diriger et expliquer sont deux métiers différents. Est-il devenu indispensable, pour un chef au XXIe siècle de combiner les deux « performances » ?

Vous avez raison, ce sont en effet de vraies performances. Je pense que nous souhaitons tous comprendre ce que nous aimons. Je me souviens d’une exposition consacrée à la peinture expressionniste à Belgrade, ma ville natale. J’étais adolescent, et je ne connaissais pas Kandinsky, Jawlensky, Macke, Mark, Klee, Munch… et je n’étais pas particulièrement introduit dans le monde de la peinture. C’est grâce à la présentation d’un critique d’art, pédagogue talentueux, que j’ai compris cet art et appris à l’aimer. Pour répondre à votre question : « indispensable » – je ne sais pas, mais utile – je le crois, car expliquer et diriger cela donne la possibilité de mieux connaître et mieux aimer. Cela approfondit mon contact avec le public : il me connaît mieux, je le connais davantage. Bien que musicien professionnel, je suis moi-même « public », je réagis comme tous les mélomanes : j’aime ou je déteste, je peux m’ennuyer comme je peux m’enthousiasmer... J’essaie de faire aimer ce que j’aime moi-même…

Ressentez-vous de la part du public le souhait d’être guidé par les interprètes pour mieux pénétrer au cœur d’une œuvre ?

Un célèbre publiciste serbe cite André Lhote : « Le Français ne peut pas ressentir s’il n’a pas compris auparavant ». Et il poursuit : « Cela provoque la réponse suivante : l’Allemand cesse de ressentir dès qu’il a compris. Et là tout devient clair : le Slave s’efforce de ne pas comprendre afin de continuer à ressentir ». Ce trait d’esprit, cette boutade, illustre bien la question entre le plaisir « brut » et celui qui est préparé. C’est comme l’amour, comme la séduction… Je pense que nous sommes tous un peu « français » : nous aimons, mais nous aimons aussi connaître ce que nous aimons et comprendre pourquoi nous l’aimons. Je disais plus haut que j’aime cultiver ce qu’il y a entre les oreilles. Il paraît que notre cerveau pèse 1,5 kg, ce qui est beaucoup vu sa taille. Il faut bien donner à manger à une bête pareille.

Au-delà de la direction d’orchestre et de la pédagogie, votre parcours personnel vous a aussi mené sur les chemins de la composition et de la pédagogie. En quoi cela va-t-il bénéficier aux Music Factory ?
 

En tant que compositeur, je vis tous les jours le dilemme du créateur : que choisir entre plusieurs possibilités qui s’offrent à moi. Grâce à cela, j’essaie de comprendre quelles sont les possibilités qui s’offraient à Mozart, par exemple, et pourquoi il a choisi celles que nous connaissons. Un choix éthique, esthétique… ou simplement ludique. Les compositeurs sont des grands enfants, ils aiment « faire l’intéressant » devant leur public. J’essaie de les démasquer… mais pas complètement : je suggère quelques clés au public et je le laisse ensuite continuer de deviner les secrets de la « Music Factory » tout seul…

Propos recueillis par Stéphane Dado