Rencontre avec Reinoud Van Mechelen

Reinoud Van Mechelen

Le vendredi 2 octobre, à 20 heures, Reinoud Van Mechelen se met dans la peau de Louis Dumesny, haute-contre de Lully accompagné de son ensemble « a nocte temporis ». Il révèle les particularités de ce chanteur haut en couleurs.

 


Pourquoi avoir mis l’art de Louis Dumesny à l’honneur ?
Ces dernières années, plusieurs de mes collègues ont imaginé des programmes autour des plus grands chanteurs de l’histoire. Une artiste comme Cecilia Bartoli a par exemple rendu hommage il y a peu à Maria Malibran. À mon tour, j’ai souhaité faire revivre les interprètes du passé et plus spécifiquement les hautes-contre. Afin de présenter la diversité de leur répertoire, j’ai conçu une trilogie qui démarre avec Dumesny, interprète privilégié des derniers opéras de Lully, et qui se poursuivra avec Pierre de Jélyotte, très lié à Rameau, et Joseph Le Gros, l’un des chanteurs de Gluck. Le choix de Dumesny m’a semblé particulièrement intéressant : il est intervenu dans les six dernières tragédies lyriques de Lully, le compositeur officiel de Louis XIV, dont on sait qu’il exerça un réel monopole sur le monde de l’opéra. Lorsque Lully meurt en 1687, Dumesny a enfin l’autorisation de chanter dans les opéras de Charpentier, Marais, Collasse, Desmarest ou Destouches. Notre concert ne présente dès lors pas que la musique de Lully, il permet d’avoir un programme plus varié. 

Quelles sont les caractéristiques de la voix de haute-contre ?
Répandue presque exclusivement en France, aux XVIIe et XVIIIe siècle, la haute-contre — le terme est normalement féminin — est un ténor qui présente de réelles facilités dans les aigus. Cette voix n’est pas forcément légère, elle peut faire preuve de vigueur dans les aigus afin de donner aux airs une certaine puissance dramatique. Beaucoup de gens confondent la haute-contre et le contre-ténor, un interprète chantant avec une voix de fausset. Contrairement à ce que l’on croit, le contre-ténor est un type de voix qui a très peu existé à l’époque baroque car les parties vocales aigües étaient presque toujours confiées à des castrats ou à de jeunes enfants. C’est une voix beaucoup plus répandue de nos jours.  

Comment Lully a-t-il rencontré Dusmeny ?
En fait, Dusmeny était au départ le cuisinier de l'intendant de l’intendant Nicolas-Joseph Foucault. Il chantait en préparant ses plats, c’est ainsi que Lully l’a découvert. Sa carrière commence relativement tard : il est né vers 1635 mais ne chante sur scène qu’à partir de 1675, à partir de ses 40 ans. Ne sachant pas lire la musique, il a dû apprendre le répertoire de mémoire. Sa carrière s’achève en 1699.  

Pourquoi dit-on de Dumesny qu’il fut un personnage haut en couleurs ?
Nous savons que Dumesny avait la réputation de charmer énormément les femmes. Il avait également un fort penchant pour l’alcool : il vidait plusieurs bouteilles de vin de Champagne avant de monter sur la scène. On dit aussi qu’il était cleptomane et qu’il aimait voler les bijoux des filles de l’Opéra… Cela fait de lui quelqu’un d’assez truculent ! Mais les détails manquent. Comme pour beaucoup d’interprètes du XVIIe siècle, on ne dispose que de peu d’informations le concernant. Il faut attendre le XVIIIe siècle et la starification des chanteurs pour que les données biographiques s’étoffent.  

Comment définir sa voix ?
Les partitions nous permettent de dire que Dumesny dispose d’une voix assez puissante. Ses aigus n’ont pas la couleur légère des chanteurs italiens, ils sont plus corsés. On pense aussi que sa voix a monté dans les aigus avec le temps (à moins que le diapason n’ait lui-même bougé, on ne sait pas trop). On lui a reproché parfois de chanter faux, peut-être en raison de ses problèmes de boisson.  

Quels rôles a-t-il endossés ? 
Essentiellement des rôles de jeunes premiers. Il incarne le plus souvent des princes glorieux, à la morale irréprochable et beaucoup plus rarement des héros obscurs (Jason). Pour varier la couleur vocale, il m’a semblé important d’ajouter quelques airs chantés par ses collègues dans les opéras auxquels Dumesny participa. Le programme est ainsi plus contrasté.

Ses rôles ont-ils été taillés sur mesure ? 
Déjà à l’époque, les compositeurs adaptent leurs airs aux caractéristiques vocales des chanteurs. Il n’est d’ailleurs pas dans leur intérêt d’écrire une page inadaptée, c’est prendre le risque que leur musique ne sonne mal. Lully fait un peu exception. Personnalité autoritaire, il écrit en ayant en tête la voix de Dusmeny mais il ne tolère pas pour autant que le chanteur demande des changements ou la réécriture complète d’un air, une chose qui arrivait souvent dans le monde de l’opéra. Ce genre de requête est tout simplement impossible de la part d’un compositeur qui bénéficie de la protection totale du roi.   

Comment avez-vous composé le programme du concert ? 
Ce programme comprend une ouverture et quelques airs alternant avec des danses instrumentales. Il n’y aura donc pas que du chant, pour ne pas lasser le public, et pour ne pas limiter le travail de l’orchestre à celui de simple accompagnateur. Il m’a fallu parcourir tout le répertoire opératique de Dumesny pour sélectionner les airs. Le parcours est presque chronologique à 100 %, il permet de suivre le cheminement vocal de l’interprète durant ses 22 ans de carrière.

Vous chantez et assurez en même temps la direction d’orchestre. Pour quelle raison ?
Si je suis avant tout un chanteur, j’aime inspirer l’orchestre et avoir un impact sur lui en ajoutant par exemple plus de couleurs dans certaines parties comme les danses. J’assure la direction de tout le programme pendant les répétitions alors qu’au concert, je ne dirige les pages instrumentales. Dans les airs, c’est le premier violon qui endosse la fonction de chef. Je peux néanmoins donner l’une ou l’autre entrée de la main, aux flûtes par exemple, parce qu’elles sont plus éloignées de moi et entendent moins directement ma voix. Cette expérience finit par devenir naturelle avec le temps. Il faut surtout parvenir à gérer la fatigue physique. J’ai constaté que je dépensais beaucoup d’énergie en dirigeant les danses, en raison de mon enthousiasme, ce qui n’était pas idéal lorsqu’arrivait l’air qui suit. Je ménage beaucoup mieux mes forces désormais. 

De quel effectif orchestral disposez-vous ?
Louis XIV disposait de plus d’argent que moi et d’un nombre de musiciens plus élevé (rires). Mon orchestre est dès lors un peu plus réduit que celui de Versailles, pour des raisons financières.  Malgré cela, j’ai veillé à respecter les proportions sonores entre les différentes parties instrumentales et à conserver des usages de l’époque comme par exemple les trois parties d’altos (deux altistes par partie dans le cas d’a nocte temporis) ou l’utilisation de la basse de violon à la place du violoncelle, une pratique un peu plus difficile pour les musiciens mais qui rajoute d’autres couleurs.

Que vous apporte le statut d’« artiste en résidence » de l’édition 2020 des Festivals de Wallonie ? 
Pour commencer, un soutien énorme en cette période difficile. Isabelle Bodson et son équipe ont imaginé de remplacer les concerts par des vidéos, pour nous permettre malgré tout de jouer. Le Festival me donne aussi la satisfaction de me produire davantage en Wallonie. Pendant le reste de l’année, les possibilités d’interpréter des concerts de musiques anciennes sont plus rares. Or j’adore la Wallonie et j’aime jouer plus particulièrement à Stavelot, Saint-Hubert et Liège. Les Festivals de Wallonie m’offrent la possibilité de renouer avec ces villes et de garder le lien avec leur public.
 
Propos recueillis par Stéphane Dado
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