Piano 5 étoiles : Yeol Eum Son, l'interview

Yeol Eum Son

En concert exclusif à la Salle Philharmonique le dimanche 25 septembre, à 16 heures, la pianiste coréenne évoque dans le détail les œuvres de son programme à l'éclectisme raffiné.

 

Vous ouvrez votre récital avec les Trois pièces pour piano de Guillaume Lekeu, un compositeur   originaire de Heusy, près de Verviers. Comment avez-vous découvert sa musique ?

Je l’ai découvert grâce à votre invitation en récital à Liège ! J’ai souhaité choisir une pièce spécialement liée à Liège et c’est ainsi que je me suis plongée dans l’œuvre de Guillaume Lekeu, dont je ne connaissais que les œuvres pour cordes. Sa musique pour piano est très peu connue mais cela a été une belle découverte ! Ces pièces sont d’une grande beauté dans leur simplicité. Je les ai jouées pour la première fois lors d’un récital à Bruxelles en février dernier, et j’emmène Lekeu dans diverses villes du monde, notamment le Concertgebouw d’Amsterdam (dernièrement) et dans les prochains mois, Adelaïde (Australie) et Cardiff (Pays de Galles).

Votre programme nous emmène hors des sentiers battus avec notamment la Deuxième Sonate de Kapoustine, un compositeur dont vous étiez proche. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

C’est un compositeur né en 1937 en Ukraine et élevé dans la grande tradition russe, au Conservatoire d’état de Moscou. Excellent pianiste, ayant joué dans un jazz band, il est unique en son genre et crée dans ses œuvres des liens très originaux entre les mondes du jazz, du classique et de l’avant-garde. Ses compositions sont totalement uniques ; il est d’ailleurs autodidacte dans ce domaine. En 2011, j’ai joué ses Variations opus 41 dans la grande salle du Conservatoire d'État Tchaïkovski de Moscou - son université - au deuxième tour du Concours international Tchaïkovski. À ma connaissance, j'étais la première personne à interpréter sa musique à ce concours. Il m’a entendue à la radio et a pris contact avec moi. Nous avons échangé des emails et sommes devenus amis. J’ai souhaité commémorer son décès, survenu en 2020, et j’ai alors enregistré un album consacré à ses œuvres (Onyx) dont la Deuxième Sonate est l’une des œuvres principales.

D’une certaine manière, l’apport de Kapoustine peut être rapproché de Gershwin, qui, quelques décennies plus tôt, à une époque de grands bouleversements sociaux et artistiques, a su aussi développer un style unique au carrefour de plusieurs influences. C’est sans doute une sorte de carrefour dans lequel j’aime également me situer en tant qu’artiste ; lors de ma première venue à Liège, j’ai d’ailleurs joué des œuvres concertantes de Gershwin avec l’OPRL et Gergely Madaras. 

La transcription de L’oiseau de feu de Stravinsky nous plonge également dans un univers russe et flamboyant ; quels en sont les défis techniques et musicaux pour un pianiste ?

C’est fantastique de pouvoir jouer des transcriptions pour piano de tels chefs-d’œuvre. Le temps d’une œuvre, le piano se mue en un orchestre à part entière. Bien sûr, il y a des challenges, notamment celui de donner vie à une multitude de couleurs et de rythmiques différentes. L’oiseau de feu est une œuvre formidable, j’aime le ballet, les suites pour orchestre et toute la variété d’images qui s’y déploient. Je l’ai jouée pour la première fois au Concertgebouw d’Amsterdam dernièrement et suis impatiente de pouvoir la jouer de nouveau à Liège.

La Fantaisie sur Le magicien d’Oz est-elle élaborée autour de la célèbre chanson « Over the Rainbow » ?

Entre autres, mais pas seulement ; l’œuvre est construite sur 5 ou 6 ­mélodies issues du film, dont Over The Rainbow, bien sûr. J’ai découvert cette œuvre il y a peu de temps et je l’aime beaucoup ; c’est une vaste fantaisie de dix minutes dans laquelle on suit véritablement les émotions et les atmosphères liées à la trame narrative du film. Le compositeur, William Hirtz est toujours actif aujourd’hui, notamment pour Hollywood. C’est un beau recueil musical, avec des passages très sentimentaux, de vastes explosions de joie… une grande œuvre pour le piano.

Ce kaléidoscope musical se complète avec la Sonate 1.X.1905 (De la rue) de Janáček, autre œuvre rare. Est-ce un fil rouge de vos récitals de partir à la recherche de répertoires rares ou méconnus ?

Voilà encore une sonate très unique en son genre, assez courte, et basée sur un fait réel très sombre et tragique (la mort de l'ouvrier František Pavlik, tué dans une manifestation à Brno à la date qui a donné le titre de l’œuvre). Ses couleurs, son intensité, la clarté de ses images, son dramatisme intense en font une œuvre très appréciée des musiciens. Elle se termine sur une note d’espoir même si c’est dans l’ensemble une sonate très sombre.

J’estime que c’est un véritable privilège, pour nous les pianistes, de disposer d’un répertoire aussi vaste, presque infini. J’aime en profiter en explorant sans cesse des territoires inconnus, et l’un de mes grands plaisirs est de partager ces découvertes avec le public. J’essaie toujours d’associer du connu et du moins connu. Parfois, il s'agit de découvrir ce petit détail dans une œuvre qui vous vient à l’esprit sur le moment et qui peut changer beaucoup de choses quant à son interprétation et à la façon dont les gens la vivent. C'est ainsi que l'on se connecte à soi-même et à son public.

J’essaie aussi de jouer différents programmes de récital au cours d'une même saison. De cette façon, je vois les choses plus clairement grâce aux contrastes et aux comparaisons que cela permet. Il y a une unité dans la beauté de ces pièces et dans leur vaste gamme d’expression.

Quels sont vos projets pour les futures saisons ? 

La saison prochaine, je donnerai mes premiers concerts en Australie avec (Adelaïde, Melbourne, Hobart, Sydney), en concerto et en récital ; je suis très excitée à l’idée de jouer pour la première fois là-bas. Mais je serai aussi beaucoup en Europe, avec notamment une série de concerts avec Het Residentie Orkest de La Haye, ainsi qu’aux états-Unis. En 2023 sortira également le grand projet d’enregistrement que je viens de terminer, l’intégrale des sonates pour piano de Mozart.

Propos recueillis par Séverine Meers
 

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