L'interview d'Eímear Noone « Mozart aurait pu composer des musiques de jeux vidéo ! »

Eimar Noone

Les musiques de jeux vidéo n’ont aucun secret pour l’exceptionnelle cheffe et compositrice invitée par l’OPRL à Bruxelles (30 mars) et à Liège (31 mars, 1er avril). Elle nous dit tout sur sa passion.

 

Quel est votre parcours et comment vous a-t-il menée vers le répertoire des musiques de jeux vidéo ?

J’ai reçu une formation musicale classique traditionnelle dès l’âge de 5 ans. J’ai commencé à composer très jeune, de la musique contemporaine, puis je me suis orientée vers la composition de musiques de film. Cette passion trouve son origine dans la « musique à programme » des compositeurs classiques, une musique qui se veut narrative ou descriptive. J’ai travaillé pour la première fois sur un jeu vidéo vers l’âge de 19 ans, avec un autre étudiant, David Downes, futur fondateur et compositeur pour Celtic Woman, célèbre groupe irlandais. Bien plus tard, nous avons découvert qu’il s’agissait du premier volet du célèbre jeu Metal Gear Solid ! Ensuite, j’ai étudié la direction d’orchestre avec le chef Gerhard Markson, puis j’ai travaillé avec un orchestrateur qui m’a fait venir à Los Angeles. Pour mon premier projet, je devais orchestrer une partition pour Jason Hayes : c’était le premier World of Warcraft. Depuis, ce jeu a été joué par plus de 100 millions de personnes !

Vos deux métiers (cheffe d'orchestre et compositrice) se nourrissent-ils mutuellement ?

Être cheffe d’orchestre fait de moi une meilleure compositrice et vice versa. J’aborde autrement les compositeurs que je dirige, parce que moi aussi, je dois coucher des notes sur le papier. Et mon métier de cheffe me permet de cueillir tous les joyaux de la musique d’autres compositeurs, pour m’en inspirer à mon tour. Le meilleur moment, c'est quand les deux se rejoignent sur scène. C’est particulièrement émouvant de voir travailler les musiciens sur un morceau que j’ai écrit. Une rencontre très émouvante et intellectuelle à la fois. 

Un jeu vidéo est par définition imprévisible. Comment composer une musique qui s’adapte à cette inconnue ?

Il faut distinguer plusieurs types de musiques dans les jeux vidéo. D’abord, la musique composée pour une cinématique, une animation vidéo qui met en place l’histoire et emmène le joueur dans un univers. On y trouve certains thèmes qui seront réentendus tout au long du jeu.

Ensuite, dans le jeu lui-même, nous commençons par créer un environnement imaginaire et émotionnel. Nous sortons le joueur de son quotidien, et la musique à programme est de nouveau une inspiration. Pour les musiques qui doivent réagir aux actions du joueur, nous composons et enregistrons de manière à pouvoir ajouter ou soustraire des éléments, par blocs de timbres notamment, tout en conservant une cohérence musicale. Mozart aurait pu écrire pour des jeux vidéo : il aimait les énigmes, les puzzles musicaux ! C’est vraiment amusant si votre cerveau aime ce genre de choses. C’est comme une grille de mots croisés tridimensionnelle, mais musicale.

Enfin, il y a aussi les musiques que nous composons mais qui semblent provenir d’un élément concret présent dans le jeu : un juke-box, une musique d’ascenseur, etc.

La musique est-elle composée avant la création graphique, ou le contraire ?

Cela dépend du type de musique sur lequel vous travaillez pour le jeu, des réalisateurs, du calendrier, des sociétés de jeux… Ce qui est certain, c’est que la collaboration artistique (avec des artistes visuels, des réalisateurs, etc.) fait ressortir différentes choses de votre propre travail créatif. C’est ce qu’ont fait les compositeurs tout au long de l’histoire. Les préoccupations pratiques, les obstacles, conduisent toujours à un type de créativité différent. Il n’y a rien de plus effrayant que la page blanche ; nous accueillons les contraintes favorablement, parce que très souvent, elles vous conduisent dans une direction que vous n’auriez peut-être pas empruntée.

Comment décririez-vous l’évolution musicale des jeux vidéo depuis ses débuts ?

Les premières musiques de jeux vidéo étaient plus proches du travail d’un programmeur informatique que d’un compositeur. Koji Kondo, qui a écrit notamment les musiques de Super Mario et Zelda, devait programmer ses thèmes note par note, en langage binaire (composé de 1 et de 0), pour les premières consoles de jeux ! Petit à petit, on a vu apparaitre des arrangements de ces thèmes, puis des partitions midi, avant d’avoir des partitions entièrement orchestrées.

Est-ce un défi d'imposer votre marque en tant que femme, dans deux environnements professionnels historiquement très masculins ?

Le corps est le véhicule qui transporte l’esprit à travers le monde. Lorsque je suis dans la musique, je ne pense pas du tout au fait que je suis une femme. Je constate avec plaisir que de nombreuses et merveilleuses interprètes féminines ont fait leur apparition, alors qu’elles étaient moins nombreuses lorsque j’ai commencé à diriger. Les gens pensent parfois que toutes les femmes cheffes d’orchestre sont les mêmes, alors que nous sommes tout à fait différentes les unes des autres ; nous n’avons que notre genre en commun ! Nous n’avons pas à être perçues comme un groupe, mais comme des êtres individuels. J’aime le public, je le sers et je sers l’orchestre. Il est donc important de le faire de la manière la plus individuelle possible : pour cela, il faut exploiter chaque chose qui fait que je suis « moi », et l’une de ces choses, l’une parmi une infinité d’autres, c’est que je suis une femme.

Propos recueillis par Séverine Meers
 

Réserver à Bruxelles

Les concerts de Liège affichent complets