« Un parcours long et foisonnant ! »

Daniel Weissmann

Le Directeur général de l’OPRL, Daniel Weissmann, dresse le bilan artistique des 60 ans de l’Orchestre et envisage les nouveaux enjeux qui l'attendent à l'avenir. 

 

L’OPRL a 60 ans ! C’est à la fois peu au regard d’orchestres plus anciens, et à la fois un âge respectable. Comment expliquer cette longévité ?  
La pérennité de l’OPRL s’explique par sa situation géographique et par des facteurs artistiques. Géographiquement, Liège est au centre d’une importante région transfrontalière qui la met en contact avec les communautés hollandaises et germanophones. Cela lui confère une légitimité et une représentativité internationales dont il a bénéficié très tôt. Artistiquement, l’Orchestre s’est constitué autour de personnalités marquantes et originales : Fernand Quinet, Manuel Rosenthal, Paul Strauss ou Pierre Bartholomée l’ont totalement incarné à ses débuts, ils ont forgé son identité et défini ses caractéristiques par leur originalité, leur inventivité et une très forte ambition, fédérant les musiciens autour de projets forts. Malgré son jeune âge, l’OPRL jouit d’une histoire dense, ramassée, d’un parcours long et foisonnant, au même titre que des formations bien plus anciennes.  

Est-ce que l’identité artistique de l’OPRL a fortement évolué depuis 1960 ?  
Pas vraiment, et c’est tant mieux car une identité artistique forte n’est possible que s’il n’y a pas d’évolutions trop prononcées. Depuis sa création, l’OPRL évolue mais ses racines restent vivaces et en font un « arbre solide » : dès 1960, il brasse un répertoire assez vaste duquel émergent deux lignes de force : la création contemporaine et la valorisation du répertoire franco-belge. On retrouve ces deux axes tout au long de ces 60 ans ; seule la manière de les inscrire dans leur époque s’est transformée.

Quels sont pour vous les temps forts de l’OPRL au cours de son histoire ?
Le premier temps fort qui me vient à l’esprit, c’est l’ère Bartholomée. Ce fut une ère de découvertes continues. La création mondiale de la 10e Symphonie de Schubert, par exemple, a été un événement dont tout le monde a parlé. Les moments marquants découlent encore une fois des lignes de force insufflées par les directeurs musicaux. Dans les années 2000, l’arrivée de chefs modernes au répertoire plus spécifique (Mozart et la musique française pour Louis Langrée, la musique contemporaine pour Pascal Rophé) place l’Orchestre dans une nouvelle ère significative, celle de la spécialisation et de la diversification des styles. Enfin, il y a une étape marquante qui est liée à l’internationalisation de l’image de l’Orchestre par le biais de nouveaux outils numériques professionnalisés. En investissant dans de nouveaux outils en ligne, en étant présent sur des médias internationaux comme Mezzo, YouTube et bientôt Medici.tv, l’OPRL s’inscrit dans la modernité des grands orchestres d’aujourd’hui.  

Quels ont été vos axes de travail depuis votre arrivée ?  
D’abord, il m’a semblé crucial de faire en sorte que les musiciens de l’OPRL acquièrent leur autonomie artistique, qu’ils partagent le pouvoir et deviennent indépendants. Un orchestre est une entité permanente et stable qui voit défiler des directeurs musicaux plus éphémères. Il doit dès lors être pensé comme une structure autonome où la permanence de style, un aplomb artistique et un certain degré d’excellence doivent être cultivés. Grâce à sa souplesse artistique, l’OPRL peut tendre facilement vers cette autonomie.  C’est un travail qui se fait de commun accord avec les musiciens. J’aimerais, au terme du processus, que nous devenions un peu l’équivalent belge de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam.   

J’ai souhaité par ailleurs transformer l’OPRL en une phalange du XXIe siècle à l’écoute de la modernité. Il doit être un corps dynamique ancré dans sa ville et perdre ses réflexes d’institution reposant sur sa seule histoire. Les expériences récentes OPRL+ et Music Factory permettent d’ancrer l’OPRL dans le quotidien des gens. Cette idée fut à la base de mon projet, tant elle favorise une plus grande diversité du public et son renouvellement.  

Comment y parvient-on ?
Il faut fédérer les équipes et proposer un projet artistique qui tire tout le monde vers le haut. C’est ma manière de concevoir le métier. La démarche est la même lorsqu’on s’adresse aux spectateurs. Il ne faut pas faire table rase du passé mais être soucieux de faire en sorte que tout le monde participe au projet, qui doit évoluer pour cela en douceur. La transmission, la pédagogie s’avèrent des démarches capitales pour maintenir le lien avec le public, c’est du reste un des aspects les plus agréables de la profession.  

Comment l’OPRL est-il perçu à l’étranger ?
Aujourd’hui, il jouit d’une excellente image, il est considéré comme l’un des orchestres les plus dynamiques d’Europe, c’est une belle endormie qui connaît désormais un nouvel éveil. Sa réussite internationale résulte de trois lignes de force : une salle de qualité, des musiciens impliqués et professionnels, un répertoire ciblé. Le choix d’une personnalité flamboyante comme Gergely Madaras en tant que Directeur musical renforce cette image.  

Quelles stratégies un orchestre doit-il développer pour continuer à être de son temps ?
Pour vivre avec son temps, il faut être en contact avec les personnalités de son époque, avec les jeunes en particulier qui nous montrent comment le monde musical évolue. Ils se posent un tas de questions qui, lorsqu’elles sont constructives, nous permettent d’avancer.  Rester jeune, c’est un sacerdoce pour un directeur. Il y a des tendances qui ne font pas partie de ma formation, mais je dois me forcer d’être à leur écoute et d’en tirer des choses positives parce qu’elles font partie de l’air du temps. Les réseaux sociaux par exemple, sont une chose avec laquelle j’ai dû composer car ils sont indispensables pour avoir une communication optimale. Ma fonction m’oblige à être totalement en contact avec la réalité, afin de prendre ensuite de la hauteur.  

Comment avez-vous conçu avec Gergely Madaras le concert anniversaire du 3 octobre ?
Lors de ses 50 ans, l’OPRL a réuni ses anciens directeurs musicaux, le temps d’un soir. Pour le concert des 60 ans, Gergely Madaras a préféré mettre en avant tous les musiciens de l’Orchestre en les impliquant dans une démarche participative. Ils doivent incarner la continuité, être le pont entre hier et demain. Leur programme illustre d’ailleurs la thématique « Passé / Présent » de cette saison puisqu’il propose des œuvres connues, des pièces qui font partie de l’histoire de l’OPRL (comme la Symphonie de Franck) mais aussi des commandes et des créations. L’originalité du programme est qu’il fait jouer chaque famille instrumentale isolément avant de réunir tout le monde dans Le Guide de l’orchestre de Britten, l’unique pièce que dirigera Gergely. C’est une œuvre festive, facile à écouter, qui témoigne de la volonté de faire quelque chose à la fois de simple et d’évident pour le public.  

Quel cap doit prendre l’OPRL dans les prochaines années ?
Il faut continuer à proposer des concerts de haut niveau, développer les spectacles à géométrie variable, conserver une forme d’éclectisme, un goût de la diversité propice à une diversification des publics. Il faut aussi être inventifs et imaginer de nouvelles formes de concerts, en étant notamment attentifs à toutes les nouvelles interactions possibles entre la musique et d’autres arts, d’autres médias, une des pistes pour tout orchestre qui veut aller de l’avant. Il convient aussi de moderniser la relation avec les milieux économiques de la cité, de manière à proposer une diversité des modes de financement, tout en tenant compte de l’évolution des mentalités : le mécénat d’hier n’existe plus vraiment, les entreprises se sont tournées vers une forme de sponsoring « win win » et des activités plus événementielles. Cela ne doit pas nous empêcher de nouer des liens réels avec ce monde, même si cela ne se fait pas dans un cadre de rentabilité ; les enjeux relationnels et de communication doivent primer. C’est un chantier de développement évident et passionnant !  

Propos recueillis par Stéphane Dado

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