Mariam Batsashvili : l'interview

Mariam Batsashvili

En concert à la Salle Philharmonique, le dimanche 4 octobre, l'interprète évoque le programme de son récital.

Votre carrière est marquée, depuis ses débuts, par la musique de Franz Liszt. En quoi ses œuvres vous passionnent-elles ?
Quand j’avais 13 ans, j’ai travaillé La Campanella, son étude pour piano d’après Paganini, ainsi que la seconde Rhapsodie hongroise, avec mon professeur en Géorgie, Natalia Natsvlishvili. Nous avons creusé très profondément dans cette musique. Au départ, j’étais très excitée par la virtuosité de la partition, mais très vite, j’ai réalisé que ce n’est pas cela, Liszt. Sa musique ne consiste absolument pas en une démonstration des capacités techniques. Elle a une signification plus profonde, et l’interprète utilise ses moyens techniques pour se mettre au service de quelque chose de plus élevé. Liszt est simplement un génie, un poète du piano ; il n’utilise pas les mots, mais la musique, pour nous communiquer les pensées et les émotions très profondes que les personnes peuvent ressentir.

Le programme de votre récital à Liège est également celui d’une tournée de concerts d’automne qui vous mène à Amsterdam, en Allemagne et au Wigmore Hall de Londres. Comment ce programme a-t-il été imaginé ?
J’aime qu’il y ait en lien entre les œuvres de mes programmes. Dans ce cas précis, il y a eu l’idée de suivre les pas de Franz Liszt, et en particulier son goût pour les transcriptions, qu’il aimait surtout réaliser dans l’intention de rendre les œuvres originales plus populaires. Mon programme propose une transcription de l’opéra La Sonnambula de Bellini, réalisée par Thalberg, un très grand pianiste et compositeur, contemporain de Liszt, mais dans l’ombre de celui-ci. Ensuite, une œuvre pour orgue de César Franck, transcrite pour piano par Harold Bauer. Et enfin l’opéra Faust de Gounod, dans une transcription de Liszt, qui a choisi de mettre en musique les paroles et le charme utilisés par Méphisto, la figure diabolique de l’opéra, pour convaincre Faust de lui vendre son âme. La musique peut décrire ces choses horribles de la manière la plus belle qui soit. J’ai également choisi d’interpréter les Fantasiestücke op. 12 de Schumann, une œuvre qui est une célébration de la vie, quoi qu’on ait pu traverser comme expériences, négatives ou positives. Enfin, je jouerai la Sonatine de Ravel, qui est une de mes œuvres favorites, tout simplement !

Comment traduire, au piano, la richesse de la polyphonie et des régistrations imaginées par César Franck dans son Prélude, fugue et variation, composé pour l’orgue ?
Je pense que le piano peut vraiment sonner de façon très riche ; bien sûr, il ne peut pas reproduire totalement la richesse de l’orgue, et ne copiera ni l’orgue ni l’orchestre, mais je pense que l’on peut réellement enrichir le cœur des personnes et exprimer les mêmes choses ! La transcription d’Harold Bauer est très bien faite, et je suis très enthousiaste à l’idée de jouer cette pièce, en particulier à Liège, là où Franck est né.

Thalberg et Liszt étaient peut-être les deux plus grands pianistes virtuoses de leur temps, et vous confrontez pour le public leurs transcriptions virtuoses de deux extraits d’opéras italiens. Jouerez-vous les arbitres de ce « combat des chefs » ?
Selon moi, nous devrions les respecter tous les deux car ils ont fait un travail magnifique ! Ces deux pièces sont de qualité égale et montrent bien leurs fascinants talents respectifs : d’une part, comment Thalberg arrive à rendre les voix et l’orchestre, ainsi que ce sentiment de tristesse, et d’autre part, comment Liszt, complètement hypnotisé par le charme du diable, utilise tout le clavier, les glissandos, les accelerandos, pour rendre fou le public…

Vous évoquez le piano comme un moyen de communication avec votre public, véhiculant un réel échange d’énergie. Une richesse précieuse dans le monde d’aujourd’hui ?
J’aime envisager la musique non pas comme un moyen de me célébrer, moi et mes capacités - ce serait très égoïste, et je crois que je n’aimerai jamais être sous les projecteurs -, mais plutôt comme un moyen de faire en sorte que quelqu’un se sente mieux. La musique me le permet, car je peux décrire ce que c’est que l’amour, ce que c’est de perdre quelqu’un, de ressentir le manque de quelqu’un… Je peux donner corps à mille détails et susciter l’impression très forte que ces compositeurs connaissent un sentiment que seul l’auditeur pensait connaitre ; car la musique « sait » toutes ces choses, elle est une abstraction qui contient tout ce qu’on pourrait expérimenter un jour dans sa vie. Nous partageons tous cette existence et nous devrions nous échanger le plus possible ces choses que sont l’amour et l’empathie. Cela compte beaucoup pour moi.

Propos recueillis par Séverine Meers

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