L'interview d'Elena Schwarz : "Le double jeu de la 12e de Chostakovitch"

Elena Schwarz

La cheffe suisse-australienne est passionnée par l’œuvre de Schumann et de Chostakovitch qu'elle dirige avec l'OPRL le 23 mars à Turnhout et le 24 à Liège.

Comment êtes-vous venue à la direction d’orchestre ?

Étant originaire de Lugano, j’ai eu la grande chance d’assister – adolescente – à de très nombreuses répétitions de l’Orchestre de la Suisse italienne, dirigé par Alain Lombard, un chef à la personnalité artistique très forte. Par la suite, j’ai étudié la direction d’orchestre au Conservatoire de Genève avec Laurent Gay et j’ai travaillé comme cheffe assistante à Paris, en Australie et à Los Angeles. Je développe actuellement une carrière entre le monde symphonique, celui de la musique contemporaine, sans oublier l’opéra. Je tiens aux échanges fertiles entre genres musicaux et musiques d’époques différentes, ce qui se traduit notamment par ce programme Schumann-Chostakovitch avec l’OPRL.

Depuis quelques années, de plus en plus de femmes dirigent des orchestres. À votre avis, d’où vient ce changement, cette ouverture ?

Je pense que c’est toute la société qui évolue et qui s’ouvre à un plus grand équilibre dans toutes les professions. On ne peut que s’en réjouir, même s’il s’agit en priorité de s’ouvrir au talent individuel plutôt qu’à un genre déterminé. Les postes de pouvoir ont toujours fasciné ; cette ouverture à la diversité se fait jour aussi dans le monde de l’entreprise et de la politique. En musique, nous avons pu bénéficier de l’exemple de cheffes aussi renommées que Marin Alsop (États-Unis) et Simone Young (Australie).

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans la carrière ?

À toute personne, homme ou femme, qui voudrait se lancer dans la direction d’orchestre, je dirais que c’est à la fois une longue aventure et un métier merveilleux, en ce sens qu’il vous permet de dialoguer avec des chefs-d’œuvre absolus, avec les plus grands compositeurs ou compositrices, et de collaborer avec des musiciens extraordinairement talentueux et passionnés. Avant tout, il faut la passion, la conviction, l’amour de la musique et, le plus important, la vocation. Je tiens beaucoup aussi à me rendre disponible auprès des jeunes, à répondre à leurs doutes et à leurs questions, à les soutenir par le biais de masterclasses, sachant que ce mode de transmission a été précieux pour moi. En janvier, j’ai mené avec l’Orchestre Philharmonique de la BBC des ateliers pour jeunes compositeurs et chefs, en collaboration avec le Conservatoire de Manchester. J’ai aussi fondé l’Atelier Louise Crossley avec l’Orchestre Symphonique de Tasmanie, spécialement dédié à la formation de jeunes femmes à la direction d’orchestre.

Comment s’est constitué ce programme autour de Schumann et Chostakovitch ?

Il s’est mis en place très rapidement (ce qui est toujours bon signe) autour de deux œuvres que j’aime beaucoup : l’émouvant Concerto pour violoncelle de Schumann (avec Anastasia Kobekina, lauréate du Concours Tchaïkovski de Moscou, des Sommets musicaux de Gstaad, de la BBC et du Borletti-Buitoni Trust) et la Symphonie n° 12 « L’année 1917 » de Chostakovitch. En introduction, j’ai proposé l’ouverture de l’opéra Genoveva de Schumann, assez rare au concert mais qui vaut vraiment le détour. C’est une œuvre très lyrique qui donnera envie d’entendre la suite.

Quelles sont les spécificités de la Symphonie n° 12 « L’année 1917 » de Chostakovitch ?

Ce compositeur compte beaucoup pour moi. J’approfondis son œuvre depuis longtemps. Chacune de ses 15 Symphonies est un monde en soi. Celui de la Douzième est un peu énigmatique car Chostakovitch avait annoncé au départ une symphonie inspirée de la vie de Lénine et célébrant la Révolution de 1917. Mais en 1960, il subit de fortes pressions du régime soviétique pour adhérer au Parti communiste. Alors qu’il a craint plusieurs fois pour sa vie, le compositeur est forcé de « rentrer dans le rang » et livre une Douzième qui joue un « double jeu ». Bien que célébrant en apparence la Révolution de 1917, l’œuvre comporte comme un message caché, lié à l’état d’esprit torturé et angoissé du compositeur, et à son sourd désir de dénoncer l’oppression du régime. Derrière le triomphalisme apparent du finale L’Aube de l’humanité, affleurent la critique et l’ironie. Chostakovitch cite d’ailleurs de manière cachée l’une de ses toutes premières œuvres pour piano, la Marche funèbre en mémoire aux victimes de la révolution (1917-1919). Ce qui est fascinant, c’est d’explorer ces contradictions et de constater comment cette œuvre nous interpelle, comment elle nous touche par son humanité et finalement nous aide à nous confronter aux difficultés de la vie et à les surmonter.

Propos recueillis par Éric Mairlot
 

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