« La Suite San Marco : une œuvre géniale qui nous a séduits par son ton moderne et son accessibilité. »

Valerie Debaele et Sylvain Cremers

Valerie Debaele, flûtiste, et Sylvain Cremers, hautboïste, reviennent sur ce qui a motivé leur choix de programme pour le Happy Hour ! « De flûte et d’anche » du mardi 18 octobre 2022, à 19 heures.
 

Qu’est-ce qui vous a guidés dans l’élaboration de ce programme ?

Sylvain. Le point de départ a été la découverte de la Suite San Marco de Piotr Szewczyk, un violoniste et compositeur polonais vivant actuellement en Floride. C’est une œuvre géniale qui nous a séduits par son ton résolument moderne et son accessibilité pour le public. Elle a été commandée par la San Marco Chamber Music Society de Jacksonville, la principale métropole du nord de la Floride. Piotr Szewczyk est violoniste de l’Orchestre Symphonique de cette ville depuis 2007. Il a conçu cette œuvre pour flûte, hautbois et quatuor à cordes ; c’est de cette formation que nous sommes partis pour concevoir ce programme centré sur la Pologne et la Moravie.

Le premier mouvement, Imaginary Dances, s’inspire de la musique folklorique d’Europe de l’Est et utilise des gammes plus « exotiques ». Le deuxième mouvement, Midnight Waltz, est une danse de séduction, passionnée et romantique entre deux amoureux. Le troisième mouvement, Hendricks Avenue, est une pièce rapide et virtuose inspirée par les voitures qui roulent vite sur cette rue animée où la pièce a été créée (dans la St. Mark’s Lutheran Church).

Valerie. En tant que solistes d’instruments à vent, nous sommes plus facilement exposés aux yeux du public. Par ce concert, nous avions envie de mettre en valeur de jeunes collègues des pupitres de cordes que le public ne connaît pas encore bien mais qui méritent d’être mis en avant. L’ensemble, constitué de trois femmes et de trois hommes, joue une fois en trio et deux fois en quatuor et en sextuor. Nous accueillons aussi l’épouse de Paul Stavridis, Alexandra Van Beveren, violoniste de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam. Le concert sera présenté par Jean-Marc Onkelinx.

À quoi correspond la Moravie ?

V. La Moravie est une région d’Europe centrale qui forme aujourd’hui la partie orientale de la Tchéquie, autour de la ville de Brno. Au Moyen Âge, elle s’étendait beaucoup plus largement (on parle de Grande-Moravie). L’empereur d’Autriche-Hongrie était aussi roi de Bohême et de Moravie.

Wranitzky et Krommer, les deux compositeurs moraves de ce programme, étaient très estimés de leurs contemporains Haydn, Mozart et Beethoven…

S. Les hautboïstes connaissent bien les deux Concertos pour hautbois et la musique de chambre de Franz Krommer. C’est un compositeur extrêmement prolifique qui a laissé pas moins de 12 symphonies, 30 concertos, 50 partitas pour vents, 40 quintettes à cordes, 20 quintettes avec instruments à vent et 70 quatuors à cordes, sans compter des trios, duos et sonates… Sur le plan symphonique, il n’est pas novateur mais sa musique de chambre est estimée. C’est l’un des compositeurs les plus importants de la période classique. Il fut d’ailleurs compositeur de la Cour impériale d’Autriche.

V. Quant à Paul Wranitzky, il a lui aussi étudié à Vienne avant d’y faire carrière comme directeur des orchestres des théâtres de la Cour impériale. Né en 1756, comme Mozart, il était membre de la même loge maçonnique et était très apprécié comme chef d’orchestre par ses pairs. C’est lui qui dirigea les premières de La Création de Haydn et de la Première Symphonie de Beethoven. La veuve de Mozart lui demanda aussi de superviser la publication d’une partie de l’œuvre de son mari.

Avec Chopin, on aborde le romantisme…

V. J’aime vraiment beaucoup son Nocturne pour piano n° 20, l’un des plus connus ; je l’ai joué plusieurs fois dans une transcription pour flûte et piano, notamment pour mon examen de fin d’études. Pour ce concert, Paul Stavridis en a réalisé une transcription inédite pour flûte, alto et violoncelle. C’est une œuvre merveilleusement expressive, dont la partie centrale ressemble beaucoup au thème du premier mouvement du Concerto pour piano n° 2. Chopin a d’ailleurs adressé ce Nocturne à sa sœur aînée, Ludwika Chopin, avec la dédicace suivante : « À ma sœur Ludwika comme un exercice avant de commencer l’étude de mon second Concerto ». On entend ce Nocturne à deux reprises dans le film Le Pianiste (2002) de Roman Polanski.

Quant à Simon Laks, il s’est établi en France…

S. Il a étudié en Pologne puis au Conservatoire de Paris jusqu’en 1929. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été déporté à Birkenau où il a dirigé l’orchestre du camp de concentration pendant deux ans. Son Quatuor n° 3 est entièrement bâti « sur des thèmes folkloriques polonais ». Il parvient à y fusionner la tradition polonaise et le style français de l’entre-deux-guerres.

Propos recueillis par Éric Mairlot

RÉSERVER EN LIGNE