Classic Academy 2021 : L’interview de Pierre Fontenelle

Pierre fontenelle

Découvrez le portrait du violoncelliste Pierre Fontenelle (23 ans, IMEP) qui interprétera Dvořák le 20 juin prochain.


Né en 1997, Pierre Fontenelle commence le violoncelle à 11 ans, en autodidacte. Avec l’aide de Borbala Jánitsek, il rejoint le Conservatoire de Luxembourg (Diplôme de concert) puis l’IMEP (Namur), où il étudie avec Éric Chardon (Master 2, 2020). En 2019, il remporte le Premier Prix et le Prix Feldbusch au Concours Edmond Baert, et est nommé violoncelle-soliste de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. En 2020, il est nommé Namurois de l’Année (« Jeune Talent ») et remporte le 2e Prix Van Hecke au Concours de violoncelle de la BCS (Belgium Cello Society). Il joue sur un violoncelle Nicolas-François Vuillaume de 1860, prêté par la Fondation Roi Baudouin. Assistant à l’IMEP, il forme le Duo Kiasma avec l’accordéoniste Frin Wolter. www.pierrefontenelle.com


Qu’est-ce qui vous a donné envie enfant de pratiquer de la musique ?

Cette plongée s’est effectuée totalement par hasard car je ne suis pas issu d’une famille de musiciens. Entre mes 3 et 14 ans, mon père travaillait à Seattle, le berceau de l’informatique. C’est là que j’ai commencé à étudier le violoncelle, à la suite d’un cours d’orchestre que j’avais suivi dans mon école secondaire. À cette époque, ma formation fut celle d’un autodidacte. Je lisais des méthodes tout en regardant des vidéos sur le web, surtout celles de Yo-Yo Ma. Techniquement, cet apprentissage ne m’a peut-être pas appris à adopter une posture idéale avec mon instrument — c’est venu ensuite –, mais cela a alimenté ma passion pour la musique.

À quel âge avez-vous donné votre premier concert ? 

Lorsque, à 14 ans, mes parents se sont installés au Luxembourg, j’y suis entré au Conservatoire. J’ai attendu mes 18 ans pour donner en public le Concerto de Gulda à Luxembourg-Ville. Au même moment, j’ai commencé à travailler avec l’accordéoniste Cristian Perciun (qui fut Prix du public de la Classic Academy 2016). Nous avons formé le Duo Made in Belgium, et c’est avec lui que j’ai l’impression d’avoir donné mes premiers vrais concerts, et de devenir artiste.

Que représente pour vous la Classic Academy de l’OPRL?

Le fait que Cristian Perciun, mon meilleur ami y ait vécu une expérience immense m’a donné envie de la vivre à mon tour. Peut-être pour me hisser un peu à son niveau.

Pourquoi avoir choisi le premier mouvement du Concerto de Dvořák?  

D’abord parce qu’il s’agit d’une œuvre phare du répertoire. Elle fait du violoncelle un instrument héroïque sans pour autant renoncer à des aspects plus fragiles qui me plaisent beaucoup. C’est une œuvre valorisante sur le plan technique et stimulante musicalement car l’interprète est bien plus qu’un simple exécutant, il est le protagoniste d’une œuvre narrative. On ne subit pas cette partition, on doit la vivre et trouver sa voie au regard de ce qu’elle raconte. C’est aussi une œuvre valorisante pour l’orchestre qui n’est pas un simple faire-valoir ; le violoncelle et lui peuvent dialoguer dans un esprit de musique de chambre, il n’y a pas de lutte. J’apprécie aussi le fait qu’il n’y ait pas pour le soliste trop de difficultés à projeter le son par-dessus l’orchestre, ce qui n’est pas le cas par exemple dans la Symphonie concertante de Prokofiev où il faut s’accrocher et tâcher de trouver une technique adaptée pour projeter sa sonorité en dépit des immenses et incessantes embuches techniques.

Depuis 2019, vous êtes violoncelle-soliste de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. Que vous apporte ce contact avec le monde de l’art lyrique ? 

J’aime être en contact avec de très belles voix. Pour un jeune musicien, c’est très inspirant – encore plus pour un instrument chantant comme le violoncelle ! On m’avait expliqué il y a quelques années lors d’un stage à l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg, que dans une carrière, un poste à l’opéra permet une grande flexibilité de jeu. On apprend à accompagner avec souplesse parce qu’il faut constamment s’adapter aux besoins du chanteur, être à leur écoute, surtout dans l’opéra italien. Pour ma part, je considère que le travail dans une fosse d’opéra peut vraiment se rapprocher  de la musique chambre.  Depuis 2019, je découvre jour après jour le répertoire opératique et cela me plaît beaucoup. J’aime particulièrement les œuvres impressionnistes et le modernisme du XXe siècle, mais tout le répertoire m’intéresse. Ayant tendance à voir le beau dans chaque chose, je trouve mon plaisir dans tout !

Votre vie professionnelle est déjà bien active à 23 ans. Comment expliquez-vous cette boulimie au travail ? 

Je pense être atteint de ce qu’on appelle le « syndrome de l’imposteur ». J’ai toujours eu le complexe de celui qui a l’impression d’être le moins bon dans une classe ou un groupe. À mes débuts, devant prouver la légitimité de mon choix de métier de musicien à ma famille (et à moi-même !), cela m’a incité à travailler davantage pour être à la hauteur des autres. D’où cette forme de boulimie qui me pousse à entreprendre plusieurs choses en même temps. C’est devenu une seconde nature chez moi. J’aime par exemple écrire, me produire en récital, enseigner, travailler une pièce d’orchestre, et combiner le tout en même temps. Explorer des univers différents, plonger dans des répertoires variés (y compris non classiques !) ; cette diversité m’aide à mieux me découvrir

Comment avez-vous vécu l’ère du Covid et comment se passe la reprise ? 

J’ai l’impression d’avoir vécu 10 années en 18 mois. Le temps m’a semblé éternel car, à la fois, rien ne s’accomplissait, et, en même temps, tout était en gestation, un peu comme une marmite lorsqu’elle approche de l’ébullition. Le confinement a changé ma conception de la musique et mon rapport aux émotions. Je me suis plongé dans la lecture de la poésie, j’ai non seulement découvert beaucoup d’auteurs, comme Anna Akhmatova, mais j’ai commencé aussi à écrire un peu. Ce contact avec la poésie m’a aidé à développer des émotions plus intenses et vives. Cette connexion intime avec l’acte de la création artistique a alimenté ma manière de concevoir et d’interpréter la musique. C’est une des choses qui n’aurait pas pu se passer en dehors de ces mois de Covid.

Parlez-nous de votre instrument ? 

C’est un merveilleux violoncelle de 1860 conçu par un luthier français du XIXe siècle, Nicolas-François Vuillaume. Il fut tout un temps le luthier officiel du Conservatoire de Bruxelles, de sorte que mon instrument est donc un patrimoine belge ! Je l’ai déniché à Paris en mars, mais il était au-dessus de mes capacités budgétaires... J’ai néanmoins réussi, après en avoir parlé à plusieurs personnes, à trouver de l’aide auprès de la Fondation Roi Baudouin qui a acheté l’instrument et me le prête à très long terme, grâce à la Fondation Strings for Talent. Il appartenait jadis à une violoncelliste solo de l’Orchestre National de France, mais n’avait plus été joué depuis une trentaine d’années. 
 

Propos recueillis par Stéphane Dado