Arcadi Volodos : « La musique de Federico Mompou est comme une oasis de silence dans le monde actuel ! »

Arcadi Volodos

Le dimanche 23 avril, à 16 heures, l’un des géants de l’école russe du piano, fait ses débuts à la Salle Philharmonique dans Mompou et Scriabine. Il s'est confié à l'OPRL sur le choix de son programme.


Votre récital est dédié à Alicia de Larrocha, qui fut très proche du compositeur et pianiste espagnol Federico Mompou. Que représente-t-elle pour vous et pourquoi l’avoir choisie comme figure tutélaire de ce concert ?

Parce que cette année, Alicia de Larrocha aurait eu 100 ans ; je voulais rendre hommage à cette grande personnalité de la musique en Espagne et dans le monde entier. Je vis depuis longtemps en Espagne, c’est pourquoi le nom d’Alicia de Larrocha est symbolique pour moi… J’ai eu la chance de la rencontrer personnellement plusieurs fois. Évidemment, les rencontres avec de telles personnalités marquent à vie les jeunes musiciens. Elle donnait des masterclasses à la Escuela Superior de Música Reina Sofía à Madrid, où j’étais étudiant à l’époque. Elle est venue aussi à mes débuts au Carnegie Hall de New York, en 1998…

La musique de Federico Mompou vous habite depuis longtemps ; vous lui avez notamment consacré un enregistrement paru en 2013. On le définit souvent comme un compositeur mystique et énigmatique, chez qui le lien entre silence et musique occupe une place centrale. Comment aborder pianistiquement son œuvre ?

Oui, effectivement, la découverte de la musique de Mompou, que je ne connaissais pas auparavant, m’a marqué pour toujours. Cette musique est très proche de ma personnalité. Justement, il ne faut pas l’aborder sur le plan pianistique, mais sur le plan purement spirituel. Les moyens pianistiques en découleront d’eux-mêmes... Si nous ne ressentons pas la vibration sonore du silence en nous (chose difficile dans ce monde de bruit constant !), il est vain de chercher à interpréter ses œuvres. C’est tout un chemin, une immersion dans les profondeurs de soi-même et à la fois de l’éternité, dans l’atome et dans l’espace… Sa musique est comme une oasis de silence dans le monde actuel. C’est pourquoi je pense qu’il est important de partager ces moments avec le public, comme contrepoids à la vie actuelle. S’il ressort du concert renouvelé, rechargé, j’aurai le sentiment d’une mission accomplie…

Est-ce que le pianiste doit ici chercher une autre forme de virtuosité, celle qui fait résonner… l’indicible ?

Exactement ! Et le piano est un instrument aux capacités infinies pour cela. Il faut juste que le pianiste soit sur la même longueur d’ondes que l’univers du compositeur. N’oublions pas que l’on appelle cet instrument « piano » et non « forte », comme souvent on l’entend…

L’univers de Scriabine est extraordinairement riche et varié, avec une évolution importante au fil des décennies. Quelle(s) facette(s) de son œuvre souhaitez-vous partager avec le public ?

Mon programme est construit de façon à montrer ce cheminement de Scriabine, en commençant par des miniatures romantiques « chopiniennes » et en allant vers « la flamme » des œuvres tardives, influencées par ses idées philosophiques et mystiques, qui tentent de mener l’auditeur à la transcendance, à la fusion des perceptions sensorielles...

Au fil du temps, vous avez évolué dans vos choix artistiques, en délaissant les programmes de virtuosité pyrotechnique au profit d’œuvres profondes, intenses, habitées par une recherche d’absolu (Schubert, Scriabine, Brahms, Mompou). Cela a-t-il été progressif ?

Bien sûr, comme toute personne, j’ai évolué au cours de ma vie, je ne peux pas le nier… Mais cette évolution a été encore plus marquée par les contraintes de la vie du jeune musicien que j’étais, projeté dans le circuit des concerts au début de sa carrière, grâce à sa virtuosité hors norme. C’est ce qui se vendait bien et, à l’époque, on ne m’a pas laissé la possibilité de composer les programmes à mon goût… Je me rappelle toujours ces tournées sans fin aux États-Unis où l’on me reprochait des programmes contenant trop d’œuvres dans des tonalités mineures et pas assez virtuoses… Aujourd’hui, heureusement, je n’interprète que ce que j’ai envie de jouer, et je me sens plus épanoui…

Dans un monde toujours plus rapide et bruyant, la quête de silence et de poésie est-elle une réponse à la crise de notre époque ?

Oui ! Je considère que c’est la mission ultime de l’art et de l’artiste…
 

Propos recueillis par Séverine Meers

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