Lukas Sternath : « J’ai toujours fait ce que j’aimais vraiment »

Né à Vienne en 2001, Lukas Sternath remporte le Premier Prix (et 7 prix spéciaux) du Concours ARD de Munich en 2022 avant de d’être désigné « Rising Star » par le réseau de grandes salles européennes ECHO. Il est invité pour la première fois à Liège, juste avant de partir en tournée avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne.
Vous avez une double formation de chanteur (avec les célèbres Petits Chanteurs de Vienne) et de pianiste : avez-vous développé ces deux carrières simultanément ?
À vrai dire, je n’ai jamais pensé en ces termes : j’ai simplement toujours fait ce que j’aimais vraiment. Après avoir mué, un nouveau chapitre s’est ouvert. Cela n’a jamais été une décision, j’ai simplement suivi le cours des événements et vu des portes s’ouvrir sur mon chemin.
L’approche du chanteur influence-t-elle celle du pianiste ?
Bien sûr ! J’ai été membre des Petits Chanteurs de Vienne de 11 à 14 ans. À cet âge-là, on ne réfléchit pas trop, on se contente d’agir, ce qui est très sain. Ensuite, quand on chante, il faut respirer. Vous pouvez jouer du piano en retenant votre respiration, mais cela s’entendra dans le son. Ce sont des choses que j’ai apprises naturellement et qui font partie intégrante de mon ADN. C'était une période très importante pour moi.
C'est une profession merveilleuse et je suis vraiment heureux de pouvoir en vivre.
Vous avez remporté le Premier Prix du Concours International de Musique de l’ARD en 2022, à l'âge de 21 ans, puis vous avez été nommé Rising Star ECHO 2023. Deux étapes majeures de votre parcours ?
Oui, clairement, car elles ont amené beaucoup de choses merveilleuses dans ma vie. Cela m’a offert un espace unique pour pouvoir vivre pleinement ma passion pour mon art et réaliser mon rêve : la partager avec un large public et découvrir le monde. C'est une profession merveilleuse et je suis vraiment heureux de pouvoir en vivre.
C'est aussi une énorme exposition, avec presque du jour au lendemain, un calendrier très chargé de concerts et d’événements. Comment avez-vous géré cela ?
Cela a d’abord été une sorte de choc, un changement profond. Au début, j’avais l’impression que tout cela prenait l’allure d’un travail, au sens négatif du terme : c’est mon job, je dois être professionnel à tout moment… Cela ne venait pas de l’intérieur. Après quelques mois, j’ai fini par mieux intégrer cette nouvelle situation, et aujourd’hui je ne voudrais plus revenir en arrière !
Le public belge est témoin de ce phénomène avec l’effet du Concours Musical Reine Elisabeth, qui propulse les lauréats dans un rythme fou…
Cette folie est présente partout dans le monde d’aujourd’hui, et surtout, l’idée de la vitesse : celle à laquelle les choses sont demandées ou se produisent... Si vous ne répondez pas à un email dans les 24 heures, vous êtes déjà impoli... cela ne me correspond pas, mais je dois trouver le moyen de le gérer car c’est le monde d’aujourd’hui ; et malgré tout, profiter de la vie.
Vous étudiez actuellement à Hanovre avec Igor Levit et Paul Lewis. Comment définiriez-vous leurs approches pédagogiques ?
Ce sont des personnalités différentes, comme tous les grands artistes d'ailleurs, mais ils partagent quelque chose de commun, et c’est vrai de tous mes professeurs dans le passé : ils me laissent toujours faire, écoutent ce que j’ai à proposer musicalement, et savent vraiment choisir à quel moment donner une impulsion, poser une question, dire quelque chose. Ils m’aident sur mon chemin, avec leurs propres expériences.
Avec Igor Levit, on ne sait jamais ce qui va se passer. Parfois, il me laisse jouer, dit une ou deux choses, et cela change tout. Puis nous passons à autre chose… Parfois nous ne jouons même pas du tout et nous nous contentons de parler ; parfois, nous travaillons sur les quatre premières mesures pendant une heure... Tout peut arriver.
Avec Paul Lewis, nous travaillons vraiment le morceau en profondeur, nous discutons de beaucoup d’éléments de la partition. Il est arrivé plus récemment dans ma vie et me connait moins bien, donc je ne peux pas vraiment comparer mes liens avec l’un et l’autre.
Le choix de la Sonate en la majeur de Schubert s’est imposé avec une certaine évidence : c’est l’une des œuvres qui me sont les plus chères, et j’ai déjà joué les deux autres sonates de son ultime trilogie.
Comment avez-vous élaboré votre programme pour Liège ?
Le choix de la Sonate en la majeur de Schubert s’est imposé avec une certaine évidence : c’est l’une des œuvres qui me sont les plus chères, et j’ai déjà joué les deux autres sonates de son ultime trilogie. Cela me permet de boucler la boucle. Elle sera associée à l’une des trois « sonates de guerre » de Prokofiev – une autre trilogie… et j’ai choisi la Huitième, que j’ai toujours beaucoup aimée. J’ai d’ailleurs remarqué qu’il y a un passage marquant – et récurrent - dans lequel Prokofiev cite Le voyage d’hiver de Schubert ! On y retrouve cette même froideur, l’atmosphère mélancolique, la tragédie et la tristesse caractéristiques de cet immense cycle de Lieder, exprimés évidemment dans le langage personnel de Prokofiev… Mais il existe une réelle connexion entre les deux œuvres, à un niveau émotionnel profond.
La Sonate en la majeur de Schubert n'est pas un morceau tragique ; au contraire, le troisième mouvement est très enlevé et charmant. La sonate de Prokofiev, elle, est bien plus sombre. Entre ces deux univers, j’ouvrirai la seconde partie du récital par les Funérailles de Liszt, qui introduiront parfaitement cette atmosphère sombre. La transition entre Liszt et Prokofiev est vraiment très naturelle ; j’ai d’ailleurs prévu de les enchaîner sans pause, si le public me suit… C’est comme un flux continu, bien sûr dans un langage sonore différent, mais qui installe un certain état d’esprit…
C’est un travail vraiment nécessaire lorsqu’on conçoit un tel programme, de choisir quels morceaux combiner, quel type d'équilibre on recherche, quelle esthétique… Soit en contrepoint, soit au contraire dans la continuité… Et puis à un moment donné, il faut décider ! Ce sont bien sûr des morceaux que je souhaite vraiment travailler, et c’est le plus important : vouloir faire l’expérience de les jouer pour moi-même, et pour les présenter au public. Et ensuite : « just do it ! »
Juste après votre récital à Liège, vous partirez en tournée avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne (sous la direction de Tugan Sokhiev) pour la première fois...
Oui, avec le Premier Concerto de Prokofiev, d’abord à Vienne puis à Hambourg, Bratislava et Luxembourg. C’est très spécial pour moi, qui ai écouté cet orchestre si souvent à Vienne. Il occupe une place très particulière dans mon cœur et c'est un immense privilège de pouvoir jouer à ses côtés, si tôt dans ma vie… et pas seulement une fois, mais à quatre reprises ! Je ne pourrais pas rêver mieux.
Vous êtes aussi invité pour la première fois aux BBC Proms cet été 2025 : quel répertoire allez-vous interpréter ? Qu'est-ce que cela signifie d'être invité à un événement aussi spécial ?
Nous allons jouer le Concerto pour piano de Grieg. J'avais peut-être 13 ou 14 ans lorsque je suis allée au Royal Albert Hall, mais je n'ai pas vraiment vu la salle de l'intérieur, et bien sûr je sais que c'est un lieu de concerts légendaires, et cette salle est si immense... Je suis vraiment heureux de pouvoir enfin en faire l'expérience sur scène, et d'apprendre à mieux connaître le public londonien.
Quels sont vos futurs projets ?
D’une manière générale, continuer à vivre pleinement ma passion, en profitant de chaque journée.
Des projets d’enregistrement ?
Oh, eh bien, les enregistrements... Cela doit vraiment naître d’un alignement de nombreuses planètes. Si je décide un jour de faire un enregistrement, ce sera pour le programme, mais aussi les gens avec qui je travaillerai, l’ingénieur du son, la salle, le bon moment, le label... Je ne suis pas pressé. On me pose très souvent cette question, comme si on attendait forcément cela de moi, et l’industrie musicale fonctionne un peu comme ça : vous donnez des concerts, vous êtes jeune, donc vous faites des enregistrements...
L’enregistrement consiste plutôt à essayer de capturer un moment, et actuellement, je suis moins intéressé par cette démarche que par l’idée de laisser aller les choses…
Sans doute est-ce surtout une manière d’en savoir plus sur vos coups de cœur et les répertoires qui sont importants pour vous ?
Oui, bien sûr, mais pour moi, l’enregistrement consiste plutôt à essayer de capturer un moment, et actuellement, je suis moins intéressé par cette démarche que par l’idée de laisser aller les choses… En soi, c’est un processus que je suis curieux de découvrir : je n'en ai jamais fait l’expérience et j’aimerais savoir ce que l’on ressent et ce qui en ressort. Mais je ne suis pas seul dans ce processus, beaucoup de facteurs doivent être réunis pour moi. J’attends donc le moment où cela se produira.
Propos recueillis par Séverine Meers