[INTERVIEW] Airblow: "Enfant, j’imitais les voix des dessins animés. J’étais aussi déjà fasciné par les bruitages avant même de faire du beatbox"
En concert avec l'OPRL, le 20 octobre, dans le cadre des Dimanches en famille, Gaspard Herblot (Airblow) évoque sa passion pour le beatbox, discipline passionnante dont il révèle les particularités.
Qu’est ce que l’art du beatbox ?
Le beat-box est un art qui consiste à reproduire avec l’appareil phonatoire les sons produits par des boîtes à rythmes, des instruments de musique divers (à commencer par la batterie) ou par des chanteurs. Comme de nombreuses pratiques issues de la culture hip hop, le beatbox propose un métissage de diverses techniques vocales non académiques (chants diphoniques mongols, voix de gorge, onomatopées percussives inuites ou pygmées). C’est une discipline qui est née dans la culture hip hop américaine, au début des années 1980, à New York. Dans un premier temps, il s’agit d’une pratique assez sommaire techniquement, qui consiste à reproduire les éléments de base des rythmiques hip hop (aussi bien les sons de la batterie que des sonorités mélodiques) dans la perspective de soutenir les rappeurs dans leurs improvisations. Ensuite, au cours des années 1990, certains pionniers américains ont posé les bases de la discipline en y greffant des techniques plus élaborées, la transformant en un art à part entière. Ils ont posé les bases techniques dont de nombreux beatboxers se sont emparé. Lors de cette même décennie, de nombreux pays européens ont vu l’apparition de leurs propres communautés de beatboxers. Cette émergence va de pair avec le développement de championnats divers ainsi que de sites regorgeant de tutos. Ces concours et sites ont permis à la technique du beat-box de se clarifier et de structurer. Grâce à eux, les beatboxers ont identifié les techniques spécifiques de chacun pour se les approprier et enrichir les fondements de cet art.
Comment en êtes-vous arrivé à aborder ce genre ?
Adolescent, j’étais chanteur et parolier dans des groupes de rock, de rap, de hip hop fusion. Je baigne dans la culture hip hop depuis mes 12 ans, également imprégné par les musiques qu’écoutaient mes parents et mes grands-parents fervents amateurs de jazz et de musique classique. Enfant, j’imitais les voix des dessins animés. J’étais aussi déjà fasciné par les bruitages avant même de faire du beatbox, j’aimais imiter les voix et les sons. Lorsque j’ai découvert le genre, je faisais déjà de la percussion vocale sans savoir que c’était du beatbox. Et j’étais très influencé par Al Jarreau et les chanteurs de scat (courant du jazz basé sur des onomatopées rythmiques et l’imitation par la voix des instruments de musique) comme Ella Fitzgerald. Comme tous les beatboxers de ma génération, j’ai découvert cela via les pionniers américains de cette discipline Rahzel et Scratch (du groupe de hip hop The Roots) et Kenny Muhammad, l’initiateur de diverses techniques de beatbox (il a notamment mis au point un son très courtant, celui de la « caisse claire inspirée » ou « inward snare »).
Au fil du temps, j’ai essayé d’assimiler les techniques des nouvelles générations, sachant que l’art du beatbox s’est propagé en Asie, en Amérique du Sud et dans le monde entier et est toujours en plein développement.
Quelle a été ensuite votre formation musicale ?
J’ai grandi dans le sud de la France. Alors que j’étais étudiant en lettres, je me formais en autodidacte au rap et au beatbox, en parcourant tous les sites et en écoutant et reproduisant les sons des beatboxers de l’époque. Puis en arrivant à Bruxelles, j’ai donné des cours à l’Espace Catastrophe à Saint-Gilles (un centre des arts du cirque et de la scène), ce qui m’a incité à revoir tout ce que je connaissais et à suivre tous les tutos de beatbox possibles pour assimiler tout ce qui existait. À ce moment-là, je me suis mis à développer la lecture du solfège rythmique via les diverses Méthodes de batterie de Dante Agostini, j’ai travaillé la batterie vocale comme un vrai batteur. Je me suis ensuite inscrit à l’Institut Dalcroze, où les exercices s’effectuent par l’intermédiaire du corps afin de développer ma propre rythmique corporelle. J’ai aussi commencé vers 2006-2007 le body drumming (l’usage du corps comme instrument de percussion).
Le fait d’enseigner le beatbox m’a permis d’être identifié par les meilleurs beatboxers français, comme Ezra, Faya Braz, Los, tous des champions de France et d’éminents pédagogues. J’ai été contacté pour participer à une rencontre à La Chaufferie de Grenoble qui réunissait les pratiquants émérites de cette discipline autour de la transmission et de la pédagogie du beatbox. Là, ce fut l’occasion de nous questionner sur la manière d’écrire et de transcrire les rythmes et les sonorités du beatbox. La question était de savoir comment représenter les sons autrement que par des lettres de l’alphabet (par exemple en imitant la forme de la bouche nécessaire pour imiter un son). Et surtout, ces échanges furent l’occasion d’avancer sur mon inventaire des sonorités, nourri en abondance par les échanges aves les autres pédagogues. J’ai aussi travaillé avec Léa Chapon, chercheuse dans le domaine de la représentation graphique des phonèmes propres au beatbox. Fort de ces expériences, j’ai ensuite été sollicité comme jury dans divers championnats de beatbox, à partir de 2009. On m’a sollicité pour la sélection des beatboxers du championnat de France. Depuis 2019, je suis également coorganisateur du Jolof Beatbox, premier festival et championnat dédié à la pratique du beatbox au Sénégal et en Afrique. Par ailleurs, j’ai organisé avec la Cie Airblow deux sessions de formation pour professeurs de musique et musiciens-intervenants autour des différentes pratiques de musiques corporelles (Circle Song, Konnakol, body percussion…). Au fil du temps, j’ai essayé d’assimiler les techniques des nouvelles générations, sachant que l’art du beatbox s’est propagé en Asie, en Amérique du Sud et dans le monde entier et est toujours en plein développement.
Quelles est aujourd’hui l’étendue des possibilités sonores offertes par le beatbox ?
Je dirais qu’il y a une diversité telle qu’il est impossible pour un seul individu d’assimiler la globalité de ces techniques. La jeune génération a amené de nouvelles sonorités liées aux développements de nouveaux styles musicaux, d’une complexité technique plus importante que celle que je pratiquais dans les 1990 et 2000. Un beatboxer débutant en 2024 a accès à un éventail de techniques, de pratiques et d’influences bien plus grand. Chacun développe et investigue des domaines plus particuliers et spécifiques. Aujourd’hui, il existe plus de 60 techniques pour produire juste un son de caisse claire (vocal — on inspire et expire —, par l’usage de consonnes percussives comme K et P ou bien le spitsnere, caisse claire postillonnée, très en vogue chez les nouvelles générations de beatboxer). Les différentes positions des lèvres, de la langue, du palais et de la gorge induisent ces variations et ces modulations, avec tout un éventail de nuances.
Chaque beatboxer développe ses propres particularités sonores, qui ne sont en aucune manière liées à sa physionomie. Une personne de petite taille, à la bouche petite, peut très bien produire des sons très graves et volumineux. L’actuel champion du monde, FootboxG, qui m’accompagne lors du concert de l’OPRL, est petit et fin, ce qui ne l’empêche pas de générer des sons très bas. De la même manière qu’un chanteur lyrique de petite taille peut faire trembler les murs d’un opéra. Ce n’est pas la taille qui compte... C’est la manière d’utiliser le corps selon ses techniques propres. J’ai développé moi-même d’ailleurs par le travail du corps un beatbox doté d’un volume impressionnant, même sans micro.
La communauté des beatboxers est l’une des plus chaleureuses et accessibles qui soient, et l’une des plus disposées à partager ses techniques.
Pouvez-vous évoquer quelques particularités techniques du beat-box ?
Une des particularités du beatbox est de produire simultanément de la mélodie et du rythme. Cela implique une gestion du souffle et un équilibre entre l’air inspiré ou expiré et la mise en place d’une méthode qui permet de produire des sons tout en respirant. Concrètement cela implique une grande faculté de dissociation entre les mélodies créées par la voix chantée et les sonorités de la percussion issues d’une gymnastique savante de la langue, des lèvres, du palais et de la gorge. De sorte que chaque beatboxer développe des niveaux de maîtrise dans l’une ou l’autre de ces techniques. Certains sont très précis dans l’imitation d’instruments et arrivent à imiter très précisément le grain d’une guitare électrique, d’une trompette ou bien un son de scratch. D’autres peuvent être très forts dans des sons spécifiques comme l’infra basse. D’autres encore développent une dextérité dans les roulements de batterie, rapides et précis. D’autre enfin sont experts dans l’art de dissocier les lignes mélodiques et rythmiques. Par exemple pour une même mélodie, on peut faire varier son rythme d’une vitesse simple à une double ou triple vitesse. Cette faculté implique là encore un niveau de dissociation complexe, un peu comme un batteur ou un pianiste qui ne joue pas les mêmes rythmes avec ses membres. Pour réaliser cela, j’ai d’abord besoin de déconstruire la musique en transcrivant sur papier les différentes voix la constituant afin de pouvoir ensuite les restituer quasiment à l’identique. Spontanément je n’arriverais pas à reproduire certaines figures très complexes. Je suis obligé d’analyser ces musiques et de voir où tombent les rythmes et les sons pour parvenir par la suite à les reproduire.
Quelles sont les qualités indispensables à un beatboxer ?
L’ouverture d’esprit, la persévérance, la curiosité, la capacité à développer un style spécifique et l’originalité. Il faut aussi une discipline physique stricte qui implique une certaine hygiène de vie. Un bon beatboxer a aussi le sens du partage. On affirme souvent que la communauté des beatboxers, parmi les différentes communautés hip hop (danseur, rappeur, grapheur, DJ) est l’une des plus chaleureuses et accessibles qui soient, et l’une des plus disposées à partager ses techniques. C’est sans doute lié au fait que cet art s’est développé par l’échange mutuel des techniques respectives.
Pourquoi un duo avec FooboxG ? Comment est née votre collaboration ?
L’an dernier, j’ai travaillé en tant que beatboxer avec l’OPRL, à l’occasion de spectacles pédagogiques. Fanny Gouville, la Chargée de l'action culturelle et du développement pédagogique l’Orchestre m’a appelé pour refaire le projet en concert, avec un 2e beatboxer. Je connais bien la communauté des beatboxers de Belgique, je suis attentivement tous leurs championnats. Mon attention s’est portée sur FootboxG, un jeune homme dans la vingtaine, qui a assimilé les techniques les plus récentes et modernes. Nous avons très tôt travaillé ensemble, afin de nous enrichir mutuellement de notre savoir respectif, nos techniques sont très complémentaires. Je le croise aussi très régulièrement en milieu scolaire via les Jeunesses Musicales de Bruxelles. Entre-temps, il a participé au championnat du monde de beatbox à Berlin, en 2023, dont il est sorti champion du monde ! C’est le premier Belge à décrocher ce titre ! Le public aura la chance de le rencontrer à Liège.
Comment le beatbox s’intègrera-t-il au sein de l’OPRL ?
Fanny Gouville et moi avons sélectionné d’une part des musiques connues des enfants comme Pirates des Caraïbes ou Stars Wars, d’autre part, des œuvres classiques moins connues mais très riches rythmiquement. Pour chaque œuvre, j’ai conçu des accompagnements de percussion corporelle, de beatbox et de Konnakol (pratique rythmique vocale basée sur des onomatopées issues de la musique traditionnelle de l’Inde du Sud) spécialement adaptés pour les enfants et très facile à assimiler. En parallèle, j’interviendrai seul sur certains morceaux de l’Orchestre, ou en duo avec FootboxG (le premier belge à avoir décroché le titre de champion du monde de beatbox, à Berlin, en 2023) qui aura ses propres solos avec l’OPRL. Cela permettra de faire entendre notre discipline dans des métriques plus complexes que les mesures à 4 temps. Ce concert permet aussi de rappeler que le beatbox est une discipline qui peut rentrer divers univers musicaux même s’il est associé au départ au Hip hop. On le retrouve dans le jazz vocal, dans la musique bretonne (que pratique le beatboxer ALEM). Il y a aussi des beatboxers qui se sont associés à des chanteurs lyriques ou qui ont œuvré sur des chants grégoriens. On peut envisager des rencontres avec beaucoup d’esthétiques musicales différentes en réalité, ce qui montre toute la richesse et la flexibilité de notre art.
Propos recueillis par Stéphane Dado
En concert le dimanche 20 octobre à 16h pour le premier Dimanches en famille de la saison : Beatbox à l'Orchestre
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